"Le nouveau chef d’œuvre de Hayao Miyazaki" "Chaque image est un tableau peint à la main." Voilà quelques-unes des accroches de certains medias au sujet du dernier -en date- film du maître japonais de l'animation. Autant vous dire que c'est totalement vide de sens. Une œuvre d'un même auteur ne peut avoir qu'un seul sommet, un seul chef d’œuvre, sinon cela ne veut plus rien dire. Quant aux tableaux peints à la main... Les tableaux étaient peints à la main, tous, avant que d'autres outils soient mis à la disposition des peintres, devenus pour certains des illustrateurs.
Voilà, ces agacements passés, transportons-nous donc dans ce film, qui a créé le buzz une fois de plus. Non seulement parce qu'il s'agit d'une œuvre de Miyazaki, mais aussi parce que le studio Ghibli a choisi de n'en faire aucune promotion, de n'en livrer aucune image -hormis une affiche, un brin énigmatique- jusqu'à sa sortie japonaise, en juillet dernier. Alors que la sortie française officielle est imminente, le jeu habituel de la distribution s'est tout de même mis en marche sous nos latitudes : avant-premières, images promotionnelles, bande-annonce alléchante...
Mahito, douze ans, a perdu sa mère lors d'un incendie dû aux bombardements pendant la guerre dans l'hôpital où elle était soignée quelques années auparavant. En compagnie de son père il déménage à la campagne, où ce dernier a fait construire une usine à proximité du manoir de sa belle-famille. En effet il a épousé la soeur cadette de son ex-femme, et cette dernière porte déjà son enfant. Quelque peu déprimé par cette istuation et hanté par sa course désespérée pour sauver sa mère dans une Tôkyô en flammes, Mahito traîne son spleen à l'école, où il devient rapidement le souffre-douleur de ses camarades. Il se mutile volontairement, pour ne plus y retourner. C'est alors qu'un héron cendré commence à le harceler, lui affirmant que sa mère n'est pas morte comme on le lui a fait croire, et qu'il sait où la trouver. Mahito le suit jusqu'à une tour désaffectée à proximité du manoir de sa belle-famille, une tour qui aux voies emmurées qui recèle un passage vers une autre dimension...
Après des films fabuleux comme Le Voyage de Chihiro, Nausicäa de la vallée du vent ou encore Mon Voisin Totoro, après Le Vent de lève, qui se présentait comme le film-testament du réalisateur tant il brassait ses thèmes favoris et de nombreux éléments autobiographiques, Miyazaki arrive encore à surprendre et un peu dérouter ses fans et ses exégètes. Mais dans un premier temps, à ravir leurs yeux. Car en effet, la finesse du trait et la fluidité de l'animation, toujours réalisée "à l'ancienne" sont par moments à couper le souffle. Il y a toujours cette poésie visuelle, ces images sublimes qui constituent la patte de Miyazaki-san dans Le Garçon et le Héron. Et toujours, toujours, cette musique symphonique et délicate de Joe Hisaishi pour l'accompagner. Et une histoire dense, avec un enfant déraciné (comme dans Chihiro, Souvenirs de Marnie, Mon voisin Totoro...) au centre de l'histoire. Une histoire inspirée par plusieurs romans comme Et vous, comment vivrez-vous ?, écrit par Genzaburô Yoshino, un best-seller réédité plus de 80 fois et paru en 1937. Miyazaki y a également inséré des éléments issus du roman de John Connolly, Le livre des choses perdues, sorti en 2006.
Mais surtout, un connaisseur de la vie du réalisateur y verra des éléments autobiographiques : comme lui, Mihato est le fils d'un chef d'entreprise qui prospéra grâce à 'industrie aéronautique pendant la guerre,e t sa mère était malade et soignée à l'hôpital. L'adolescent rencontre un vieil homme, qui aimerait trouver un successeur, capable de maintenir grâce à sa sensibilité et ses gestes délicats un monde sur le point de s'effondrer, symbolisé par des pièces de formes disparates. On peut y voir une allégorie de Miyazaki, tentant de maintenir à flot un studio Ghibli dans une situation très difficile.
Le thème principal du film est cependant la mort. Elle n'est ici pas définitive, d'une certaine façon, puisque dans la dimension onirique où voyagent Mihato et Héron (oui, le héron, qui n'en est pas vraiment un, s'appelle comme ça) la mort, le temps et la vie n'ont plus vraiment de sens, ou peuvent s'apprécier différemment. C'est une nouvelle synthèse de l'oeuvre miyazakienne qui s'offre à nous, mais de façon moins accessible, moins évidente que par le prisme de ses précédents films. Ce qui risque de placer ce garçon et le Héron un, voire deux crans en-dessous ces films précédemment cités. Il faudra probablement plusieurs visionnages pour saisir la portée et la profondeur de ce douzième long-métrage du réalisateur.
Spooky