Arrêtons-nous sur l'aspect extérieur du bouquin, si vous le voulez bien. Bordure rouge, comme la tranche, une jolie illustration en couverture qui nous montre une jolie jeune femme sur fond de nuit de pleine lune. Sensualité, sang.
Le titre à présent, qui est à lui seul une énigme. "Magie d'entreprise". Pas évident de deviner de quoi ça va parler. Bien sûr, il y a la magie, donc a priori il s'agit d'un récit fantastique... mais... "entreprise" ? Le titre est vraiment étrange.
Imaginez une histoire de mafia, où un tueur s'en prendrait à la famille proche des parrains de chaque "famille". C'est le postulat de départ de Magie d'entreprise, à une différence près, et de taille : les mafias en question -appelées Cabales- sont en fait des sociétés employant des créatures surnaturelles : semi-démons et autres mages, pour faire court. Elles sont gérées comme des entreprises et s'efforcent de ne pas intervenir dans les affaires des humains. Mais aujourd'hui, les Cabales ont peur. En effet les enfants des cadres, voire des PDG, sont tués les uns après les autres... Lucas Cortez, fils du PDG de la Cabale du même nom, est appelé à enquêter sur cette série de meurtres, et cela malgré son opposition à l'organisation de son père. Aidé par sa compagne, la sorcière Paige Winterbourne, narratrice de l'histoire, puis d'une nécromancienne et de deux loups-garous, il va remonter la piste d'un tueur aux motivations étranges...
L'univers proposé par Kelley Armstrong avait été introduit dans Morsure (également publié chez Bragelonne), et c'est donc le quatrième tome des aventures de Paige. Il se situe pleinement dans le genre de la bit-lit, ce sous-genre de l'urban fantasy où l'héroïne évolue dans un univers contemporain où les créatures fantastiques existent bel et bien.
J'ai du mal avec cet univers. Se démarquant d'écrivains comme Graham Masterton, par exemple, les personnages sont aussi attentifs à leurs soucis quotidiens qu'aux problèmes surnaturels auxquels ils sont confrontés... Ici par exemple Paige se demande si elle va approfondir sa relation avec son petit ami Lucas, qui lui-même se pose des questions sur celle qu'il entretient avec son père... Ca dilue l'intérêt de l'histoire dans des bavardages un peu vains, à moins que l'on se passionne pour la petite vie intime de Paige...
Et le côté fantastique dans tout ça ? Eh bien, nous avons une sorcière qui ne lance que deux ou trois sorts d'entrave, face à des créatures censées être beaucoup plus puissantes... Résultat, Paige est entourée de plusieurs sidekicks, eux aussi fantastiques (vampires, loups-garous, nécromanciennes...) qui la sauvent toujours des situations difficiles. Cette multiplication des personnages secondaires entraîne un côté vaudeville au récit, avec des portes qui claquent, des personnages qui disparaissent puis réapparaissent constamment... Fatigant.
Kelley Armstrong essaie pourtant de diversifier ses situations fantastiques, comme cette incursion dans une autre dimension. Malheureusement cette dimension est très peu développée, et il est difficile de vraiment se l'approprier.
Comme ce roman s'inscrit dans une somme romanesque (qui compte à cette heure sept romans aux Etats-Unis), il n'y a pas vraiment de fin, même si "l'affaire" est résolue. Difficile donc de s'approprier cet univers en le prenant en route, même si pas mal d'éléments (les Cabales, la place des vampires, etc.) sont un peu développés.
En outre, l'écriture souffre de tics qui me semblent assez gênants, et relèguent à mes yeux cet ouvrage dans une littérature de bas étage. Des exemples ? L'écrivain use et abuse des "on fit ceci, on fit cela", incluant bien sûr Paige et celui ou ceux qui l'accompagnent dans la narration, mais cela me semble un artifice trop pauvre pour mériter le titre de "littérature populaire"... De plus certains passages sont trop explicatifs, enlevant au lecteur la possibilité de faire marcher son imagination d façon normale, et les scènes d'action sont poussives. Même s'il s'agit de créatures surnaturelles, on a parfois l'impression qu'elles volent alors qu'elles ont par ailleurs des caractéristiques très terre à terre... De même pour les titres de chapitres, qui ne sont souvent qu'un bout de phrase du chapitre concerné ; et parfois pas les mieux choisis.
Quel est le public visé par cet ouvrage ? Des adolescents ? Hum, pas sûr. Rien que la saga Harry Potter est mieux écrite. Des jeunes femmes ? Si elles ont soif de fantastique, et pas de romantisme aux longues dents à la sauce Twilight, il n'est pas sûr qu'elles apprécieront... En tout état de cause, si vous souhaitez néanmoins vous plonger dans cet univers qui a ses propres cohérences, je vous conseille de commencer par Morsure...