Considérée comme le point d'orgue de l'oeuvre de Silverberg, auteur prolifique de SF et grand ami d'Asimov, je me devais de lire Les Monades urbaines. Premier constat, le livre est composé de 7 épisodes ou nouvelles, qui s'intéressent à tour de rôle au destin d'une personne en particulier, que l'on retrouvera parfois dans une autre nouvelle par un jeu d'intertextualité, ou que l'on récupérera où on l'avait laissée.
Dans les monades urbaines, gigantesques tours de trois kilomètres de hauteur, tellement énormes qu'elles sont divisées en cités, vivent 75 milliards d'humains. La surpopulation est vaincue, et les hommes n'aspirent plus qu'à créer la vie, qu'ils considèrent la véritable offrande à Dieu. De fait, de nouvelles monades sont perpétuellement en construction pour accueillir l'excédent des autres tours. La promiscuité forcée a obligé les hommes à engager certains changements dans les moeurs, parmi lesquels on retiendra notamment une intimité réduite à néant et une libération sexuelle totale, cette dernière intervenant dans le cadre de la suppression des conflits. En effet, dans une société où l'on se marche presque sur les pieds, le moindre conflit peut s'envenimer rapidement, et c'est pourquoi l'on précipite du haut des monades, sorte de roche tarpéienne moderne, les "anomos", en d'autres termes les différents, les mécontents, les inadaptés sociaux.
A travers Les Monades Urbaines, Silberberg tente de nous brosser le portrait d'un futur qui aurait vaincu la surpopulation. Sous une couche utopique, comme le ressent la majorité des habitants, se cache un malaise profond qui touche uniquement certaines personnes. Ces anomos en puissance seront les protagonistes que nous suivrons tout au long des sept nouvelles. Evoluant dans un univers inadapté, ils tenteront malgré tout de résister avec leurs moyens à la normalisation imposée. Car deux sorts attendent les anomos : la "chute", ou bien la rééducation par la pensée. Une manière de dénoncer notre système actuel, où les "fous" sont souvent confiés à des psychiatres au nom de l'ordre public.
En dehors de cette normalisation, on retiendra surtout deux messages forts. Silverberg dénonce clairement l'incitation à créer la vie à profusion, comme si ce n'était qu'une vulgaire marchandise. En tant que lecteur, on a clairement l'impression que cette société se trompe dans sa vision du monde en créant la vie sans s'occuper de la qualité de vie et de sa valeur. Résumé grossièrement, on pourrait dire que la qualité importe moins que la quantité. Le second message concerne l'autre grand concept des monades : les balades nocturnes. Dans un monde où l'adultère n'existe plus, n'a plus cours puisque tout le monde couche avec tout le monde, où toutes les pratiques sexuelles - et relatives à la drogue également - ne sont plus taboues, cette liberté de forniquer avec tout un chacun peut apparaître comme une libération immense. Paradoxalement c'est l'inverse qui se produit. Car lors des promenades nocturne, l'homme est implicitement poussé hors de chez lui, en quelque sorte chassé de son domicile.
Durant ces promenades, on s'apercevra vite que les classes sociales sont au contraire bien plus visibles qu'aujourd'hui. Divisées en cités, les monades abritent tous types de travailleurs "utiles à la société". En bas de l'échelle/monade, les travailleurs manuels, et en haut les dirigeants de la monade. Du plan horizontal au plan vertical rien n'a changé, le pouvoir se trouve toujours aux endroits les plus inaccessibles. Silverberg profitera également du cas Siegmund Kluver, jeune prodige appelé à devenir le maître de la monade 116, pour dénoncer les comportements amoraux des dirigeants, leurs débauches à l'abri des regards de la société bien pensante dont ils sont les gardiens moraux. Peu surprenant selon moi, et un peu trop banal.
Il y a tant d'autres choses à dire, comme l'extérieur de la monade, auquel un chapitre est dédié, ou encore la théorie de l'évolution selon Silverberg (je suis très peu convaincu sur ce point). Ce que je retiendrai des Monades urbaines sera surtout un univers très fouillé, avec ses codes propres, mais également une critique que je trouve un peu faiblarde par moments. Souvent, je me demandais ce que l'auteur tentait de faire passer. En ce qui me concerne, cette dystopie ne m'est pas apparue horrible ou malsaine, comme le choc que j'ai pu éprouver avec 1984, simplement sympathique et agréable à lire. Cette impression est notamment due au fait que la critique ne m'est pas apparue assez incisive ou plus explicité par moments, l'auteur parlant à demi mots et n'approfondissant pas plus sa pensée.
GiZeus