Je crois qu'il s'agit du premier roman de Serge Brussolo, ce grand monsieur de l'imaginaire français, que je lis. Et je le lis un peu par hasard, l'ayant trouvé il y a un an ou deux dans une boîte à livres.
David Sarella est traumatisé. Il a assisté il y a peu à l'agression et au viol de sa mère par des inconnus dans un parking souterrain. Désormais privée de raison, elle est placée dans un établissement psychiatrique, et David dans une institution avec internat près de la ville de Triviana. Une ville elle-même traumatisée depuis quarante-deux ans, lorsqu'un avion s'est écrasé sur un parc d'attractions plein à craquer et a fait des dizaines de victimes, sans qu'on sache exactement d'où il venait. Son seul ami sur place est Moochie, un garçon grassouillet passionné de modélisme qui lui fait "visiter" l'endroit, figé dans un état de ruines grisâtres. Et puis bientôt la réalité change. Un maquettiste passionné par l'histoire tragique du parc d'attractions est retrouvé tué dans son atelier, David et Moochie se font agresser par de drôles de créatures...
Le roman baigne dans une aventure très étrange quasiment dès les premières pages. David est un adolescent à l'imagination fertile, presque frénétique, dont le traitement en anti-dépresseurs n'arrange pas l'état. Du coup il se fait des films en permanence, même lorsque la réalité dépasse ses délires. La plume habile de Brussolo rend le livre très facile à lire, on tourne les pages à la chaîne. Plaisant.
Et oui, il y a encore de la littérature analysant l'oeuvre de Tolkien ; cette fois-ci ce sont deux enseignants en philosophie qui allient leurs connaissances avec leur passion pour le Seigneur des Anneaux.
En une quinzaine de chapitres sont brassés différentes thématiques : le Mal, la parole, les chansons, les Elfes, l'espace-temps... A chaque théorie est convoqué une personnalité de la philosophie : Leibniz, Kierkegaard, Schopenhauer, Hegel... Il serait vain (et très long !) de développer ici les assertions des uns et des autres, mais je peux vous donner quelques éléments, parmi ceux que j'ai trouvé les plus pertinents.
Matthieu Amat et Simon Merle dissertent ainsi sur l'importance des chansons, utilisées pour se donner du courage, se souvenir de moments heureux ou tristes, et même pour repousser des forces malveillantes, comme avec Tom Bombadil. Les personnages partent pour un périple qui va les changer à jamais. Cette aventure, qui fascine et fait peur à la fois (surtout chez les Hobbits), se place dans un espace-temps à la fois précis et hors dimensions, comme lorsque la Fraternité se retrouve en Lorien. l'Anneau unique est un objet qui corrompt son porteur, mais lui permet également d'accroître ses sens, comme lorsque Frodo regarde au (très très) loin depuis l'Amon Hen.
Chaque item est donc éclairé par la pensée d'un(e) philosophe réputé(e), et même si j'avoue que parfois certaines assertions sont tirées par les cheveux, d'autres sont troublantes dans leur application avec l'oeuvre de Tolkien. Notons toutefois que les deux auteurs se sont dégagés de toute responsabilité en indiquant qu'ils n'avaient aucune preuve de la réalités de ces théories. L'ensemble est assez intéressant.
Sorti dans les années 1980, le manga écrit et dessiné par Katsuhiro Ôtomo se révèle comme une révolution dans le paysage dessiné de l'époque. Le long métrage d'animation adapté par Ôtomo - ans plus tard a enfoncé le clou, et tous deux ont marqué durablement leurs lecteurs et spectateurs, dont certains ont suivi sa voie.
Cette révolution, Stéphanie Chaptal, autrice de Hommage à Isao Takahata, chez le même éditeur (Ynnis Editions), nous propose de nous en parler en long, en large et en travers dans ce mook de 128 pages. bien ancré dans son époque, encore aux prises avec la Guerre froide et la crainte d'une catastrophe nucléaire, le manga se projette également dans un futur loin d'être heureux.
On a aussi droit au panorama de l'oeuvre d'Ôtomo, avant et après Akira, mais aussi du genre et du sous-genre dans lesquels il émarge, à savoir la science-fiction et le cyberpunk. Stéphanie Chaptal nous propose également quelques pistes d'héritiers, d'artistes qui s'en sont inspirés.
Un panorama assez large, donc, qui permettra à tout(e) admirateur/trice de l'oeuvre et du sous-genre concerné d'en savoir (beaucoup) plus.
Fabien Clavel - fantastique - Helios poche - avril 2014
« Il n’y a pas de rédemption pour les monstres »
21e siècle. 8 mai
Roumanie. 2h environ. Un patient s’échappe de l’Usine, une clinique d’un genre un peu particulier.
Londres. 13h02. Une jeune étudiante quitte en courant une conférence de l’ONU. Sa soif de connaissance a capitulé devant une faim plus insatiable encore.
Dubaï. 21h48. Dans une luxueuse suite de L’Al-Mahara, autrefois l’hôtel le plus cher du monde, seule une panthère ressortira vivante de la violente dispute qui oppose deux hommes.
Acheté il y a quelques temps déjà au Salon du Vampire, ce roman bénéficie de ma lecture un peu intense due au confinement. Et malgré ses plus de 400 pages (au format poche), il a été avalé en 5 jours. Il s'agit d'un thriller mêlant fantastique et futurisme, puisque l'essentiel de l'action se déroule dans un futur indéterminé (a priori après 2039), dans lequel les énergies fossiles ne sont plus utilisées. Ce qui explique, par exemple, qu'une action se déroule à Pékin, puis que l'on passe à Prague, une quinzaine de jours après, le temps de faire le trajet en train... Avec ce cadre Fabien Clavel, auteur amateur de mélange des genres, se permet de nombreuses libertés. Il nous présente ainsi l'Ancolie, un cercle secret regroupant 5 vampires issus d'époques différentes, qui essaient de débarrasser le monde d'une autre société secrète, visiblement impliquée dans des expériences génétiques qui se jouent de l'éthique.
Le roman est dynamique, enlevé, on sent qu'il y a du potentiel dans ce monde au bord du chaos. Mais à côté de cela, l'auteur semble oublier en cours de route certains éléments qui auraient été intéressants, au profit d'une intrigue au départ éclatée mais qui se resserre dans le dernier tiers. Je vous recommande cependant la lecture rien que pour les personnages, bien différenciés, raccrochés aux époques dont ils sont issus, et qui bénéficient d'un vrai savoir-faire.
Philippe Curval est considéré comme l'un des "Grands Anciens" de l'imaginaire français. Il faut dire qu'avec une carrière commencée avant 1960, il a eu le temps de publier des centaines de nouvelles, des dizaines de romans émargeant pour la plupart dans la science-fiction. Une activité hautement respectable, encadrée par une activité de critique (dans le même secteur) et d'illustrateur. A ma grande honte, je n'avais jusqu'alors lu aucune de ses productions, pas même une nouvelle dans un quelconque recueil. Mais son passage dans une librairie parisienne, remarqué par un ami (encore merci, Guillaume !) m'a permis d'acquérir L'Homme qui s'arrêta.
En 2009, année de ses 80 ans, le Editions La Volte (connues pour avoir publié le phénoménal La Horde du Contrevent, entre autres) publient ce recueil de nouvelles, sous-titré Journaux ultimes. Présentées par son éditeur comme des nouvelles "subversives", les dix écrits qui le composent sont écrites à la première personne, et ont pour point commun des héros dont la raison vacille avec la survenue d'un évènement qui les concerne directement. Ainsi en est-il de ce jeune homme qui voit revenir dans son entourage son frère jumeau, aux funérailles duquel il a pourtant assisté des années auparavant. De ce comptable à la vie à la fois morne et bien réglée qui se retrouve avec une version de lui-même qui semble vivre sa vie (et la vivre mieux) avec un léger décalage temporel. De ce récit mêlant polar noir et cadre érotique avec un artefact en forme de pénis qui semble donner à ses possesseurs successifs des performances sexuelles fort appréciables...
Cependant, si certaines idées m'ont semblé assez intéressantes, la forme ne m'a pas toujours enthousiasmé. La faute la plupart du temps à une tendance à la logorrhée, au bavardage, certes très accessible, mais parfois superfétatoire... La nouvelle qui m'a le plus intéressé est celle où un savant étudie la fâcheuse tendance des nouveaux-nés à vieillir progressivement pour disparaître, visiblement de leur plein gré, au bout de quelques semaines. C'est assez fascinant de se retrouver dans la tête d'un nourrisson, qui acquiert peu à peu l'analyse, le recul, la raison...... Un petit mot de l'avant-dernière nouvelle, intitulée Journal contaminé, qui raconte les crépuscule d'un criminel qui se retrouve... en confinement (comme une bonne partie du monde à l'heure ou j'écris ces lignes... saloperie de covid-19) après avoir contracté une maladie qui le ronge lors d'une sortie spéléologique avec son épouse. Le parallèle entre la dégradation de sa perception spatio-temporelle et celle de la nature qui entoure son appartement isolé est assez fascinant, dans son aspect clinique et presque entomologique.
Un petit regret : si deux des nouvelles peuvent être datées grâce à l'indication de leur publication dans des revues, d'autres ne le sont pas. Est-ce à dire qu'elles étaient alors inédites ? Voire contemporaines de la publication du recueil ? En tous les cas, on notera que ces nouvelles relèvent pour la plupart du fantastique, avec un fond social très présent. Et souvent beaucoup d'ambigüité dans ses histoires.
A proximité de Lyon, des gendarmes découvrent le cadavre du Dr Bare, tué lors d’un guet-apens. Pour comprendre les raisons de ce meurtre apparemment sans mobile, un carnet laissé par la victime permet aux enquêteurs de décrypter l’incroyable mystère auquel la victime a été confrontée. Un an plus tôt, un poilu de 14, dont le nom figure pourtant sur le monument aux morts, est revenu incognito dans sa ville, animé par une terreur que son ami médecin va peu à peu comprendre. Capturé par les Allemands, il a servi de cobaye pour une expérience scientifique : il est désormais un homme truqué… mais aussi un homme traqué qu’il va falloir essayer de sauver.
Maurice Renard est considéré comme le père, ou l'un des pionniers, du "merveilleux scientifique" en France. Ce mouvement, qui a fait florès au début du XXème siècle dans la littérature, intègre les progrès scientifique, et même les extrapolations les plus folles, dans le cadre de romans d'aventures échevelés.
Publié en 1921, ce court roman (ou longue nouvelle) aborde le thème des "gueules cassées", ces soldats revenant du front de la Première guerre mondiale avec de lourdes séquelles physiques, souvent doublées de blessures de l'âme. Enlevé, on lui greffe à la place des yeux des appareils électroscopiques, qui lui permettent non pas de recouvrer la vue au sens où on l'entend communément, mais d'acquérir un nouveau sens, le sixième (enfin, un des sixièmes), qui lui permet de "voir" les courants électriques qui traversent l'atmosphère, les êtres vivants et les machines, sous forme de filaments, de traînées.... Un don qui est pour lui une véritable malédiction, dont sera témoin son ami le Dr Bare. Voici donc, un peu comme la créature de Frankenstein, un homme sui subit des transformations dans sa chair, alors qu'il n'a rien demandé, et en souffre encore plus psychologiquement que physiquement. Un don qui, quelques années plus tard dans des fascicules bon marché édités outre-Atlantique, lui aurait valu l'étiquette de super-héros, un slip par-dessus une combinaison en spandex rouge et lui aurait valu moultes aventures rocambolesques. Rien de tout ça chez Maurice Renard, qui trace son histoire avec sérieux, efficacité, et un certain sens du tragique puisque dès le début du récit, introduit par un "prologue-épilogue", on sait que cela finit mal pour le narrateur.
J'ai bien aimé cette histoire, vite lue, mais à l'origine de nombreuses histoires de super-héros, de mutations et autres personnages hors du commun. Un petit retour aux sources revigorant.
1895. Napoléon IV règne sur l’Europe tandis qu’à l’est, l’Empire russe tisse sa toile de conspirateurs et d’intrigues. Pour sauver la France impériale, un trio œuvre dans l’ombre : la mystérieuse Comtesse de Cagliostro, au charme aussi dangereux que ses connaissances scientifiques, le brutal frère Vacher, tueur dénué de remords, et le Valet, un androïde espion capable de s’approprier souvenirs et visages d’autrui, mais dont la mémoire a été trafiquée. De Venise aux confins du monde en passant par l’Orient-Express et la Transylvanie, parviendront-ils à déjouer les plans des ennemis de l’Empire Électrique ?
Victor Fleury est un jeune et talentueux auteur de steampunk, qui se place, avec ce roman qui est son deuxième (après l'Empire électrique, qui se situe dans le même univers), parmi les auteurs à suivre. Il convoque en effet dans ce récit nombre de figures "classiques" de la littérature du XIXème siècle, au-delà de l'inspiration éminemment dumasienne de son trio : la créature de Frankenstein, nombre d'emprunts à Jules Verne, et même... le Comte Dracula ! S'y ajoutent un souffle épique, une écriture plutôt fluide et aventureuse et un vocabulaire riche et détaillé. En plus d'un amour certain pour deux cités, Lyon et Venise, avantageusement décrites et "augmentées" dans l'esprit steampunk. De plus le personnage du Valet réserve quelques surprises, puisqu'à ses aptitudes mécaniques hors normes s'ajoutent, de manière inattendue, l'expérience et les souvenirs des hommes et des femmes dont il avait accueilli l'encéphale. Des ressources qui peuvent parfois se révéler fort utiles... Le roman est truffé de péripéties, de trahisons, de volte-faces, ce qui fait qu'on n'a que très peu de temps pour souffler. Par moments c'est même un peu trop effréné ; on perd presque le fil de la narration du "présent". Mais dans l'ensemble, c'est une lecture pleine de rebondissements, d'aventure, avec pas mal d'ingéniosité, en bref, divertissante. Et on n'a pas besoin de plus.
Une petite remarque quant à la maquette : si la couverture est plutôt belle, avec ces mécanismes dorés et ce dessin en médaillon de Benjamin Carré, le dos, lui, fait la part belle au genre et au titre de la collection, "Steampunk", qui en occupent plus de la moitié. Le nom de l'auteur et le titre du roman sont 5 fois plus petits... Un peu dommage.
Stan Lee fut, pendant de nombreuses années, l'incarnation de Marvel, la maison d'édition à l'origine de nombre de personnages marquants, essentiellement des super-héros. Pour la dernière génération à l'avoir "connu" (il est décédé en fin d'année 2018), c'était surtout ce vieux monsieur qui faisait des apparitions drolatiques dans tous les films Marvel (y compris post mortem). Mais qui est-il vraiment ?
Au sein de la collection Héros des Editions Ynnis, Sébastien Célimon, écrivain, journaliste, traducteur et scénariste, s'est essayé à l'exercice, difficile, tant l'homme a pris le pas sur l'auteur ces dernières décennies, et a brouillé les pistes au sujet de ses créations. Sans complaisance, mais avec bienveillance et recul, Sébastien Célimon retrace donc le parcours de ce juif new-yorkais, dont les parents ont fui ce qu'on a fini par appeler des pogroms en Europe de l'est au début du XXème siècle. Un New-Yorkais qui a intégré les Editions Timely, qui se contentait alors (au tout début des années 1940) de suivre les tendances dans les comics les plus populaires. Petit à petit, au contact des auteurs maison, Stan est monté en grade, devenant le véritable homme-orchestre de ce qu'on a appelé plus tard la Maison des idées, devenue Atlas puis Marvel entretemps.
On prête à the Man la paternité de la plupart des super-héros Marvel, alors qu'en rélité il en a récupéré certains, coimme Captain America, déjà présents dans les publications marvelliennes ? D'autres, comme Spider-Man ou les Quatre fantastiques, sont réellement de son fait et de celui de ses compagnons d'alors, qui avaient pour nom Jack Kirby, Steve Ditko... Son génie des dialogues, son goût des bons mots ont emmené ces personnages à des niveaux parfois stratosphériques, comme Spider-Man. La méthode Stan Lee, son omniprésence, son héritage, tout est passé en revue dans ce hors-série abondamment illustré. Très intéressant.
L'ironie du sort et le hasard des lectures font que j'ai attaqué -et terminé- ce Stephen King, le dernier en date traduit en français, pendant la période de confinement en France. Pourquoi mentionner ce fait ? Parce que l'histoire de l'Institut se déroule dans un endroit clos, au sein duquel des enfants ayant des caractéristiques particulières, sont détenus après avoir été arrachés violemment à leurs familles.
Luke est un enfant de 12 ans, dont l'intelligence supérieure le destine à de grandes choses. C'est d'ailleurs après avoir passé les tests d'admission pour deux universités prestigieuses qu'il se réveille, un jour funeste, dans une chambre qui ressemble à la sienne mais n'est pas la sienne. Celle-ci donne sur un couloir, au sein d'un bâtiment inconnu. Luke va y faire la connaissance de plusieurs autres enfants, entre 8 et 18 ans, qui ont des dons de télékinésie ou de télépathie. Luke a remarqué que parfois, autour de lui, des choses étranges se passent : des portes qui claquent toutes seules, des assiettes qui tombent d'une table... Tous ces enfants ont de tels talents, plus ou moins développés. Dans ce que leur directrice nomme l'Institut, on leur fait passer différents tests, on leur injecte des produits sans leur expliquer leurs effets, on fait en sorte qu'ils vivent dans la peur. Cela dure deux à trois semaines, après quoi les enfants sont emmenés dans une autre partie de l'Institut, surnommé l'Arrière, de laquelle ils ne reviennent plus. Voyant ainsi partir un par un ses compagnons d'infortune, avant que son tour n'arrive, Luke décide d'agir. D'autant plus que les tests des gens de l'Institut... ont libéré, provoqué quelque chose.
Avec ce nouveau roman, Stephen King revient à l'un de ses thèmes préférés, ou plutôt un de ses héros préférés, à savoir le préadolescent. Nombre de ses meilleurs bouquins (en vrac, Stand by Me, La Petite fille qui aimait Tom Gordon, Carrie...) ont pour héros des personnes de cette classe d'âge. Ici nous suivons donc Luke, un garçon extrêmement intelligent (tellement parfois que c'est un peu too much... L'auteur semble oublier parfois qu'il n'a que 12 ans), capable de faire ce que personne ne ferait à sa place, et probablement pas un adulte. Luke dont la trajectoire va rencontrer Mike, ancien flic qui a tout plaqué à la suite d'une fusillade qui a dégénéré et a décidé de recommencer à zéro en tant que veilleur de nuit dans un trou à rats de Caroline du sud.
Ce roman m'a globalement déçu.
Certes, la destination de l'Institut est intrigante, et on ne la connaîtra que dans les ultimes pages, les meilleures. Certes, le personnage de Luke est émouvant. Il est bien écrit, c'est indéniable, mais je n'y ai pas trouvé cette étincelle, ce passage qui pourrait m'émouvoir aux larmes, comme cela a pu m'arriver pour d'autres. Ni cette dimension sociale qui a fait de King un écrivain qui fait "plus que des histoires de trouille" ces dernières années. Je n'ai pas eu ce frisson en lisant un passage de pure terreur, d'action trépidante à même de me faire rater ma station de métro (bon ok, je n'ai pas pris le métro depuis 2 ou 3 semaines, mais ce n'est pas une raison). Sans dire qu'il est fade, que je me suis par moments franchement ennuyé à sa lecture ; je classerais cet Institut dans une catégorie intermédiaire, celle des "bien, mais sans plus" qui sont nombreux chez King (et ceci alors qu'il a aussi quelques chefs-d'oeuvre). Si le sujet rappelle un peu The Shining ou Charlie, voire Carrie, je ne vois pas trop comment ce segment peut se raccrocher au reste de son oeuvre, malgré un clin d'oeil à Salem, et comme parfois, à l'actualité (l'élection de Trump, le Brexit). Pour tout vous dire, j'ai un peu eu l'impression de lire la version étendue (en version française grand format, le roman compte 600 pages) d'une nouvelle ébauchée dans les années 1970, reprise dans les années 1990 (lorsque King luttait contre ses démons et livrait des récits un peu trop faciles) et actualisée dans les années 2010 avec des références historiques et technologiques. Des fonds de tiroir, King doit encore en avoir quelques-uns.
Bref, un bon moment de lecture, mais pas inoubliable.
Bob Leman est un écrivain américain (1922-2006) qui n'a à son actif qu'une quinzaine de nouvelles passées à la postérité, et qui n'a eu l'honneur d'une traduction sous nos cieux qu'il y a une vingtaine d'années, dans la revue Fiction. Sous l'impulsion d'auteurs gravitant autour des librairies de genre Charybde et Scylla (sises à Paris), un processus de retraduction et de publication, financée par un crowdfunding, ont permis aux Editions Scylla de ressortir un recueil de la moitié de ces nouvelles (dont deux inédites en français), sous le titre générique de Bienvenue à Sturkeyville, car elle s'y passent toutes.
Et je dois avouer que la lecture fut plutôt profitable. Bob Leman est un écrivain qui émarge dans le fantastique, le bizarre, si l'on peut qualifier l'atmosphère dans laquelle baignent ces nouvelles : mutations lentes, vampires inattendus, créatures aquatiques, demeures manipulatrices, voyageurs intemporels, en 6 nouvelles de 15 à 50 pages il brasse plusieurs thèmes classiques. Et de belle manière, la plupart du temps. Sans atteindre la maîtrise de l'exercice de Stephen King, il se montre assez efficace, avec une langue riche et sensuelle parfois. Sans verser dans les excès à la Lovecraft, dont il fut presque contemporain, il constitue une belle découverte. Dommage que son oeuvre fût si ténue...