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Il y a treize générations, un astronef-prison s’est écrasé sur un monde d’azur.
Un vrai paradis. Du soleil, la mer à perte de vue, des îles flottantes, des nourritures marines à profusion. Les castes des Détourneurs, des Voyous, des Canailles et des Publicistes se sont adaptées sans peine à cet environnement enchanteur. Mais tout paradis a ses démons. Les Kragens sont des monstres marins semi-intelligents qui dévorent volontiers les réserves des humains. Le plus redoutable d’entre eux est le Roi Kragen qui protège les humains s’ils le nourrissent. Un protecteur de plus en plus avide à mesure qu’il grossit. Mais comment s’en débarrasser sans armes et sur un monde liquide où le métal est introuvable ?
Comme l'indique en préface Gérard Klein (non, pas l'acteur pour mamies, mais plutôt l'essayiste et anthologiste du même nom), l'écrivain américain Jack Vance (1916-2013) n'est pas réputé pour les péripéties, pour sa maîtrise de la narration, mais plutôt pour la richesse des mondes qu'il dépeint, des créatures et des décors dont il les peuple. Entre parenthèses, c'est assez... surprenant de voir un directeur de collection/préfacier déprécier un tant soit peu l'auteur qu'il est censé introduire. De Vance, je n'avais lu que Le Cycle de Tschaï, et encore, dans une adaptation en bandes dessinées, qui m'avait semblé inventive mais peu spectaculaire. Il est également connu pour plusieurs cycles : La Terre Mourante, les Princes-Démons, Lyonesse...
Dans ce roman "isolé" de 1966 l'adage présenté par Klein se vérifie peu ou prou. Dans cette histoire de descendants d'un équipage humain échoué sur une planète entièrement recouverte d'eau (du moins sur la partie accessible aux personnages de l'histoire), nous avons une micro-société (quelques milliers d'individus) qui vivent dans la crainte et sous la protection d'un monstre marin. Bien sûr des voix vont s'élever contre cet état de fait et ce régime de terreur, et cela va entraîner des scissions au sein de cette micro-société. Vance décrit avec minutie les processus scientifiques (à des stades primaux, mais inspirés par les écrits d'ancêtres ayant connu des civilisations et techniques plus avancées) qui vont permettre de fabriquer des pièges contre les kragens. Et peu à peu se soustraire à leurs raids ravageurs sur les réserves de nourriture, pour enfin gagner la liberté.
De manière un peu grossière, voire un peu grossissante, on pourrait voir dans le schisme produit au sein de cette société un reflet de celui qu'a connu à une époque l'Eglise catholique, à ceci près que les frondeurs menés par Sklar Hast partent pour un monde sans dieu (ou créature faisant figure de), et désireuse de vivre sans se soucier de l'autre, en complète autonomie. Mais le kidnapping de plusieurs membres de la caste qui "communique" avec les kragens ne leur permettra pas de tenir ce rêve bien longtemps.
Il y a tout de même quelques péripéties dans le roman, deux ou trois scènes d'action impliquant des kragens de grande taille, qui laissent libre cours à leur colère face à la révolte des quelques humains qu'ils avaient jusque-là su mater. Heureusement le roman est plutôt court, ce qui permet d'éviter l'ennui. Du coup, quand la quatrième de couverture parle d'"oeuvre maîtresse" de Jack Vance, on a un peu peur...
Spooky