Mauvais détour
par Esther Hervy
Je frappai trois coups à l’aide du heurtoir contre la grosse porte de bois. La pluie battait avec force et malgré la marquise censée protéger l’entrée, je me retrouvai trempée. J’entendis des pas traînants dans le vestibule, puis une clef que l’on tournait et la porte s’ouvrit enfin. Une petite tête apparut alors entre le chambranle de la porte et la porte elle-même, retenue par une solide chaîne de sécurité.
- Oui ? Demanda la vieille dame sur un ton méfiant.
- Bonsoir… Je suis désolée de vous déranger mais je suis tombée en panne sur la route et la batterie de mon téléphone est déchargée… Est-ce que je pourrais…
Je n’avais même pas terminé ma phrase que la lourde porte se referma. Je restai bouche bée avec un léger sourire sur les lèvres. Décidément les français avaient le sens de l’hospitalité. Je rajustai ma capuche et m’apprêtai à affronter à nouveau la pluie lorsque j’entendis le cliquetis de la chaîne et la porte s’ouvrir.
- Vous pouvez téléphoner si vous le souhaitez, me dit la vieille dame en ouvrant la porte complètement.
- Eh bien, merci c’est gentil, dis-je en me dirigeant vers elle.
Je pénétrai dans le hall de la maison et retirai ma capuche. Elle me fit enlever mon blouson et le garda à la main.
- Suivez-moi, le téléphone est dans le salon.
Je suivis donc la dame. Nous traversâmes un couloir assez vétuste dont les murs en pierres étaient recouverts de tentures aux couleurs passées et de vieilles peintures. Des portraits pour la plupart, sans doute les vestiges d’une noble famille.
- D’où venez-vous ? Me questionna-t-elle. Vous avez un accent.
- De Londres. Je suis ici pour le travail.
- Nous n’ouvrons à personne en temps normal, et encore moins aux étrangers. Vous comprenez, Monsieur est très méfiant, il y a tellement de belles choses dans le manoir… Nous sommes obligés de faire preuve de prudence.
- Je comprends…, repris-je doucement.
- Les conditions ce soir sont assez exceptionnelles, nous ne pouvions vous laisser dehors avec un orage pareil.
Elle parlait d’un ton monocorde, sans aucun timbre ni variation dans la voix. Comme si elle récitait un texte qu’elle aurait maintes et maintes fois répétées. Je marchai derrière elle et l’observai. Elle était de petite taille et tellement maigre que je me demandai comment elle pouvait encore tenir debout. Sa jupe et son chemisier noirs ne devaient pas avoir vu la moindre lessive depuis longtemps, et ses cheveux gris attachés en une longue natte terne, ne faisaient que contribuer à l’aspect crasseux du personnage. Elle marchait lentement en faisant de petits pas, traînant les pieds au sol comme si un boulet attaché à ses jambes l’empêchait d’avancer.
- Nous y voici, me dit-elle en se retournant vers moi.
Je pénétrai dans une vaste pièce au fond de laquelle une grande cheminée en pierres trônait. Quelques grosses bûches brûlaient dans l’âtre, réchauffant un peu l’atmosphère sinistre qui se dégageait des lieux. La vieille dame déplaça une chaise qui se trouvait autour de la lourde table en chêne pour y suspendre mon blouson et le faire sécher devant le foyer.
- Attendez ici, je vais chercher Monsieur, me dit-elle sur un ton neutre.
Elle partit par une petite porte et je restai seule dans la salle à manger. Je jetai un œil autour de moi. Les murs étaient extrêmement chargés. Comme dans le couloir que nous avions traversé, de lourdes tentures sombres pendaient aux murs. Des portraits d’ancêtres enterrés depuis longtemps étaient mis à l’honneur, et sous chacun d’entre eux une petite plaque en laiton était scellée. Je m’approchai de l’un d’eux afin de nourrir ma curiosité. « Augustin de Courtelet – Comte de Villancy 1730-1796 ». C’était un homme corpulent, au teint blême avec de petits yeux rapprochés et un nez tout en longueur. Son regard était autoritaire et cruel. J’espérai avec amusement que le propriétaire des lieux ne lui ressemblerait pas. Je retournai près de la cheminée pour m’y réchauffer, n’osant trop observer de peur de me faire surprendre par mon hôte.
Le manoir était totalement silencieux. Seul le crépitement des bûches se consumant indiquait qu’il y avait âme qui vît en la demeure. Je promenai mon regard, toujours sur les portraits et en remarquai un au fond de la pièce, plus imposant que les autres. Il dominait la grosse table de toute sa splendeur. Un homme assis dans un grand fauteuil caressait la tête d’un chien assis à ses pieds. C’était un bel homme aux cheveux bruns et au port altier. Ses yeux noirs brillaient au milieu de son long visage au teint pâle. Son nez fin et droit et son menton volontaire ne faisaient qu’en souligner la noblesse.
J’entendis du bruit derrière la porte par laquelle la veille dame était sortie. Je me redressai instinctivement, joignant mes mains devant moi. La porte s’ouvrit et l’homme du tableau apparu devant moi. Il faisait beaucoup plus jeune que sur la peinture et moins sinistre. En revanche, une petite moustache avait poussée le long de sa lèvre supérieure. Il s’avança vers moi en me tendant la main.
- Comte Amaury de Courtelet, bienvenue au manoir de Villancy.
Je pris sa main dans la mienne, la serrai et me présentai.
- Katherine Warren, merci de votre accueil.
- Madeleine m’a dit que vous étiez tombée en panne sur la grande route, n’est-ce pas ?
- Oui tout à fait. Je voulais juste utiliser votre téléphone pour faire venir une dépanneuse, je ne vous embarrasserai pas longtemps.
- Ah… Madeleine… Elle n’a plus toute sa tête vous savez, nous n’avons jamais eu le téléphone au manoir.
- Ah… Dans ce cas, répondis-je un peu surprise, je vais devoir retourner à ma voiture.
- Retourner à votre voiture ? Mais vous n’y pensez pas ! Il fait un temps pas impossible dehors !
- Ne vous embarrassez pas, il va bien y avoir une voiture qui va passer et m’emmener jusqu’au centre ville.
- Vous êtes mon invitée ! Passez la nuit ici. Demain matin nous vous reconduirons chez un garagiste en centre ville.
- Je suis désolée Monsieur le Comte, c’est très aimable de votre part mais c’est une voiture de location et je ne…
- Vous me vexeriez ! Et appelez-moi Amaury ! Je ne sais pas ce que cette vieille bique de Madeleine vous a raconté sur l’hospitalité de cette demeure, mais je peux vous garantir qu’elle l’habite. Et puis ce n’est pas si souvent que nous avons des visiteurs…
- Eh bien…
- Ttttt… Ttttt… Ttttt… ! Ne vous faites pas prier jeune fille.
Un peu embarrassée par son insistance et il faut bien l’avouer, n’ayant guère l’envie de remettre le nez dehors, j’acceptai finalement son invitation. Il installa deux gros fauteuils en face de la cheminée et nous fit servir du café brûlant par Madeleine. La vielle dame gardait un visage fermé et froid, visiblement contrariée par ma présence.
Nous nous installâmes donc bien confortablement dans l’épais velours rouge recouvrant le sofa. La chaleur du feu me pénétrant et me réchauffant avec délice, j’ingurgitai le café, tel un breuvage fortifiant. Pendant l’heure qui suivit, il me parla de lui et de l’histoire de sa famille. Les De Courtelet étaient installés dans la région depuis de nombreux siècles et le manoir avait toujours était occupé par l’un d’entre eux. C’était une riche famille, régnant sur ses terres et sur ses serfs comme les seigneurs de l’époque. Et puis, à la Révolution tout avait changé et ils n’avaient réussi qu’à conserver ce manoir et ses quelques terres qui l’entouraient. Depuis, la demeure se transmettait de père en fils. Amaury de Courtelet n’avait ni femme ni enfants et vivait du maigre héritage que ses parents lui avaient laissé à leurs morts. Il n’avait de Comte que le titre et les quelques trésors pendus à ses murs.
Mon hôte me conduisit dans ma chambre située au premier étage de la bâtisse. Madeleine s’y trouvait, déposant une couverture supplémentaire sur l’épais édredon bordeaux qui recouvrait le lit. Elle alluma deux bougies et en posa une sur chaque chevet. Elle passa devant nous sans même nous jeter un regard, traînant sa jambe lourdement derrière elle.
- Je suis absolument désolé pour le manque de confort certain dont vous disposerez mais l’électricité n’est pas établie jusque dans cette chambre. C’est une vieille demeure vous savez, et nous restaurons uniquement les pièces dont nous nous servons.
- Je n’y vois aucun problème, répondis-je, je suis épuisée par ma journée, je vais me coucher.
- Je vous laisse prendre vos aises alors. Madeleine vous réveillera vers 7 heures. Elle vous servira un petit déjeuner dans le salon avant que vous ne nous quittiez.
- C’est très gentil de votre part.
- Bonne nuit Katherine.
- Bonne nuit Monsieur le Comte.
◊
Il ferma la porte derrière lui et je restai seule dans la pièce. Les faibles lueurs des bougies dansaient sur les murs qui autrefois avaient du être blancs. Je m’assis sur le lit et contemplai la fenêtre. La pluie battait les carreaux et le vent soufflait sa rage dans les arbres. Un frisson me parcourut l’échine. Je réalisai que je me retrouvais dans un vieux manoir délabré, perdu au beau milieu de la campagne française, sans aucun moyen de télécommunication moderne. La vieille Madeleine m’avait fait mauvaise impression. Elle aurait pu sortir tout droit d’un vieux film d’horreur des années 50. Je repensai à mon petit appartement londonien, perché en haut d’un immeuble moderne, là où la vie et la lumière régnaient en maître.
Je défis mes lacets et ôtai mes chaussures. Et c’est encore habillée que je me glissai dans le lit. La tête posée sur un oreiller qui sentait légèrement l’humidité, je plongeai lentement dans un sommeil agité.
Un bruit sourd me réveilla. La lune projetait sur les murs des ombres fines et sombres. Des gouttes d’eau dansaient le long des vitres au rythme des rafales de vent. Je me dressai dans mon lit et tendis l’oreille. Le manoir semblait calme et silencieux. Je pouvais seulement entendre le volet grincer sous les assauts du vent, et au loin, une chouette hululer dans la tempête. Je n’avais pas la moindre idée de l’heure qu’il pouvait être. J’avais l’impression d’avoir dormi assez longtemps. Je poussai les couvertures et posai mes pieds sur le parquet. Sous mes pas, celui-ci craqua bruyamment alors que je m’approchai de la fenêtre. Dehors, il n’y avait âme qui vive. Ma chambre donnait sur le côté du manoir et je pouvais apercevoir le jardin en contrebas. D’imposants chênes, très certainement plusieurs fois centenaires, se dressaient tels de majestueux colosses.
Soudain le même bruit qui avait provoqué mon réveil se fit entendre. Je sursautai et pivotai sur moi-même. On avait cogné sur le mur. Lentement, en essayant de faire le moins de bruit possible, je m’approchai de la cloison. Je posai mes mains sur celle-ci et y collai l’oreille. Un nouveau coup, celui-ci suivit d’un gémissement que je perçus distinctement me fit m’écarter du mur avec surprise. Des pas se firent entendre immédiatement dans le couloir, et je retournai aussi vite et discrètement que possible dans le lit. La porte de la chambre d’à côté s’ouvrit en grinçant et j’entendis une voix murmurer quelques paroles indescriptibles. Le parquet grinçait autant que le mien dans la pièce voisine, m’indiquant que quelqu’un marchait d’un pas précipité. Je remontai ma couverture jusqu’au visage, n’osant bouger d’un pouce dans ce lit qui n’avait rien d’accueillant. Je restai immobile, l’oreille aux aguets. Le calme semblait être revenu mais la personne n’avait pas quitté la pièce, du moins pas à ma connaissance, je n’avais pas entendu la porte grincer de nouveau.
Doucement je redescendis la couverture vers ma poitrine, qui se soulevait au rythme de mon cœur emballé. La voix que j’avais entendue semblait maintenant provenir du couloir. La porte claqua doucement et les pas s’éloignèrent, comme étouffés par l’épais tapis de laine ornant le sol. Je pouvais entendre des gémissements de l’autre côté de la cloison. Ils me semblaient féminins. Je redescendis à nouveau du lit et avançai à pas de loup vers la porte de bois. Je tendis l’oreille pour m’assurer que personne ne se trouvait de l’autre côté, et quand j’en fus assurée, j’ouvris la porte le plus lentement possible.
Il n’y avait personne dans le couloir. La faible lueur du rez-de-chaussée parvenant par l’escalier éclairait timidement les murs. J’avais peine à distinguer les vielles photographies qui y étaient accrochées, censées rendre hommage aux années d’or du manoir. J’entendais toujours les gémissements qui provenaient de la chambre. La porte était maintenant devant moi, je touchais la poignée de la main, hésitant à la tourner, peut-être par peur de découvrir quelque chose de déplaisant. Je la poussai finalement avec angoisse, et lorsqu’elle fut assez ouverte pour me permettre d’en distinguer l’intérieur je posai une main sur ma bouche pour ne pas pousser un cri d’effroi.
Les rayons de la lune entraient par la fenêtre et éclairaient d’une lumière blanche la pièce humide et froide. Sur un matelas sans drap était attachée une femme à moitié dévêtue. Lorsqu’elle entendit la porte grincer, elle tourna la tête vers moi. Son regard empli de terreur témoignait des sévices qu’elles avaient certainement subis. En constatant que ses bourreaux ne se trouvaient pas dans l’encadrement de la porte, elle s’agita et émit des sons étouffés par le bandeau qui lui servait de bâillon. J’agitai les mains pour lui demander de s’apaiser tout en entrant dans la chambre et en me dirigeant vers elle. Je lui demandai de faire moins de bruit, paniquant à l’idée que quelqu’un pourrait l’entendre et venir. En m’approchant je constatai que son corps montrait des traces de bleus et des coupures. Ses jambes étaient tailladées et éraflées, ses bras et ses poignets meurtris par les liens, son visage bouffi par les larmes et son cou… Percé ? Que lui avait-on donc fait ? Et pourquoi ? Qui était donc cette femme retenue prisonnière dans cette sinistre demeure ? Et surtout, quel sort mes hôtes avaient prévu de me réserver ?
Je me jetai sur ses liens, essayant de les desserrer comme je pouvais, mais les cordes étaient épaisses et les nœuds bien faits. J’arrachai donc le bandeau de la bouche de la malheureuse, libérant ainsi sa respiration, rendant libres ses poumons. Je perçus un remerciement dans ses yeux, mais au moment ou j'allais lui parler pour la réconforter, je sentis dans mon cou des crocs s’enfoncer. Le hurlement de terreur de la jeune femme fut le dernier son que je perçus avant de m’écrouler.
◊
Mon esprit était enveloppé par un épais brouillard cotonneux. J’essayai d’ouvrir les yeux malgré le poids de mes paupières. Ma respiration était difficile et mon corps, engourdi par le froid. J’essayai de bouger une jambe, puis l’autre. Aucune ne répondait vraiment aux ordres de mon cerveau. J’avais l’impression d’être dans un demi-sommeil, comme si mes pensées, tentant d’émerger, se débattaient entre rêve et réalité. Mon corps était lourd et une fatigue immense m’envahissait. Je n’avais qu’une envie, me laisser gagner par le sommeil qui ne cessait de m’appeler.
Tant bien que mal je réussis tout de même à porter une main à mon cou, touchant du bout des doigts les deux trous laissés par les dents de ce qui m’avait mordu. Je ne l’avais ni entendu ni vu approcher, seules quelques effluves nauséabondes avaient chatouillé mes narines pendant une brève seconde. Où avais-je donc atterri ? Ces gens étaient-ils des psychopathes qui en séquestraient d’autres tels que l’on pouvait en voir dans les films ? Ce qui était certain était que je devais absolument partir d’ici, peu importait par quel moyen et peu importait la faiblesse physique que je ressentais. Le souvenir de la jeune femme sur son lit ne laissait aucun doute du sort qui m’était réservé, et il ne fallait pas que je traîne ici si je voulais avoir une chance d’y échapper.
La tête et les membres lourds, j’essayai donc de me redresser sur le matelas, tirant sur mes avant-bras et accrochant les doigts sur la mince couverture de laine. Finalement assise sur mon lit, je fermai les yeux et m’obligeai à contrôler ma respiration. Lorsque que je me sentais redevenue assez calme je les rouvris. Ce petit exercice respiratoire avait fait du bien à mon esprit qui avait retrouvé une partie de sa clarté.
J’allai descendre de mon lit quand j’aperçus une forme blanche au fond de la pièce devant moi. La femme que j’avais vue attachée sur le lit dans la chambre d’à côté se tenait debout, contre le mur du fond. Elle était d’une pâleur incroyable, ses longs cheveux bruns tombant en cascade de chaque côté de ses épaules, cachant sa voluptueuse poitrine.
J’eus comme réflexe de me précipiter vers elle pour la secourir. La prenant par les épaules je m’efforçais de trouver une once de vie dans son regard qui semblait perdu au fond de ses yeux.
- Tu es là ? Demandai-je. Me rendant compte que je ne connaissais pas son nom. Réponds-moi, poursuivais-je. On va se sortir de là, ne t’en fais pas, tu n’es plus seule maintenant.Je voulus la faire avancer vers le lit pour l’asseoir mais elle semblait inerte, aussi bien de corps comme d’esprit.
- Comment tu t’appelles ? Dis-moi quelque chose. Viens avec moi.
Mais la jeune femme ne semblait pas m’entendre, ni même me voir. C’était comme si son esprit mort était resté coincé dans ce corps inerte, mais vivant.
Une seconde je croisai son regard, je cru y percevoir un semblant de vie. Panique et peur le dominaient.
Puis d’un coup, elle me porta un terrible coup au visage qui me précipita sur le lit avec une violence inouïe. Je restai sonnée et ne pus empêcher la jeune femme qui se jeta sur moi de me plaquer avec une force surhumaine au matelas. Son regard d’un bleu profond, presque phosphorescent illuminait la chambre d’un halo surnaturel. Elle ouvrit la bouche et je découvris ses crocs. Des canines longues et fines qui apparurent aussi vite que deux crans d’arrêt. Elle planta ceux-ci dans mon cou et une douleur intense envahit mon corps. Elle me vidait de mon sang, buvant avec avidité et m’enlevant la vie qui s’écoulait dans mes veines. Je sentais toute force me quitter. Mon corps s’affaiblissait de seconde en seconde.Elle s’arrêta finalement et se redressa au-dessus de moi. Elle ne me tenait plus mais j’étais tellement épuisée que je ne pouvais me dégager, ni même bouger.
C’est alors qu’elle mordit son poignet. Du sang s’écoula doucement en filet le long de son bras. Un sang épais et noir.
- Bois si tu veux vivre, me dit-elle doucement en collant son poignet contre ma bouche.
Je détournai avec faiblesse le visage, essayant de me dégager sans grande efficacité de ce monstre. Elle me tint la tête et m’obligea à faire ce qu’elle me demandait. Elle appuyait sur sa peau pour en faire sortir le sang. Un liquide tiède et épais envahit mon palais. Je résistai un instant puis renonçai. Je voulais vivre.
Le goût de la vie envahit alors mon palais. Quelques secondes plus tard, j’avalais avidement le sang du vampire, retenant avec force son poignet contre ma bouche.
- J’espère être à ton goût, entendis-je, alors que je sombrais dans un profond sommeil.
Je n’eus pas la force de répondre, mais mon esprit acquiesça. Une sensation nouvelle venait de se faire ressentir, une sensation agréable, mais quelque peu angoissante.
◊
On frappa au rez-de-chaussée. Dehors le vent rugissait et la pluie battait le perron. On pouvait entendre le tonnerre gronder au loin.
J’ouvris lentement et découvris un jeune homme trempé et grelottant sur le pas de la porte du manoir. Un large sourire envahit mon visage. Je m’écartai en libérant le passage, l’invitant à se mettre à l’abri.
Sans m’adresser à lui, j’annonçai que l’on avait un nouvel invité.
Louise descendait au bout du couloir les escaliers, prête à accueillir notre nouvel hôte. Ses cheveux bruns encadrant de leurs belles boucles brillantes son visage au teint parfait.
Une odeur merveilleuse envahit la pièce. L’odeur de la vie qui coulait dans ses veines, de son cœur battant et de sa carotide gorgée de nourriture fraiche.
C’est avec un sourire entendu que nous sortîmes nos crocs pour nous précipiter sur notre victime qui n’eut même pas le temps de se rendre compte ce qui lui arrivait.
Nous aurions certainement droit à une remontrance de notre père, encore une fois. Mais ma sœur et moi étions de jeunes vampires plein de fougue et avions encore besoin d’apprendre les règles destinées à préserver notre espèce. Promis, nous laisserons papa s’occuper du prochain dans les règles de l’art. Un être humain ne doit pas faire qu’un seul et unique repas. Il est notre garde-manger.
Quoi qu’il en soit, toute la maisonnée eut droit ce soir-là à un merveilleux festin.