Comme vous le savez peut-être, je collabore occasionnellement au site vampirisme.com, un site qui parle de la culture vampirique sous toutes ses formes. Les vampires sont la passion d'Adrien Party, alias Vladkergan, son fondateur et webmaster, depuis la lecture du Prince de la Nuit, une bande dessinée d'Yves Swolfs éditée par Glénat. Le site compte près de 850 articles pour une douzaine de contributeurs en un peu plus de 4 ans.
Constatant l'absence de manifestation consacrée au genre dans l'Hexagone, certains des habitués du site se sont dit que ce serait sans doute intéressant d'en organiser une. Ainsi est d'abord née une association pour porter l'évènement, progressivement les intervenants et musiciens ont été contactés et depuis quelques mois l'activité d'Adrien et de ceux qui l'entourent s'est d'abord reportée sur l'évènement, sans pour autant négliger le site. En ce début du mois de décembre les membres du Lyon Beefsteak Club ont donc accueilli les visiteurs au sein du Bal des Ardents, une librairie étonnante dans le secteur des Cordeliers à Lyon.
A 15h, Anne, secrétaire de l'association et organisatrice de l'évènement, a ouvert la manifestation en rappelant les objectifs et le programme. Puis Adrien entame son exposé sur la figure vampirique, des années 1976 à nos jours. Pourquoi 1976 ? Parce qu'avant cette date le mythe vampirique était figé dans des archétypes : le vampire est en effet une représentation quasi-canonique du mal, une créature vile et tentatrice, mue par des instincts diaboliques, qui ne vit que pour boire du sang humain. En 1976 arrive Anne Rice avec son Entretien avec un vampire, qui change radicalement la perception de la figure littéraire. Pour Anne Rice, le vampire est avant tout une personne qui a vaincu le temps et est devenue immortelle. Il transcende, par sa seule existence, le mépris des valeurs morales. Le vampire est une créature pensante, qui a des désirs, des tourments, et Anne Rice a su développer cette dimension. Le vampire exerce un "vrai" métier, s'efforce de s'intégrer à la société.
Après Louis et Lestat dans l'oeuvre de Rice, c'est la figure de Buffy qui va influencer durablement le genre. Héroïne de la série TV éponyme (Buffy, chasseuse de vampires), Buffy est une lycéenne dotée de pouvoirs paranormaux qui chasse les créatures maléfiques, tout en essayant de mener une vie normale. L'adolescente va aussi se poser des questions sur sa vie, ses préférences sexuelles, la mort, l'amour... Des thèmes qui préfigurent la bit-lit qui a le vent en poupe actuellement. De nombreux auteurs (surtout des femmes) vont suivre ce mouvement. Et la figure féminine va suivre l'évolution politique et sociale des dernières décennies. Elle va cesser d'être un faire-valoir, un objet sexuel ou une scream queen pour se battre à égalité avec les hommes. Petit détour par la chick-lit pour parler de ces éléments, laquelle chick-lit a donné naissance à la bit-lit qui comprend une dimension fantastique. Adrien appuie ensuite sur le rôle essentiel que joue l'éditeur Milady/Bragelonne dans le développement en France de cette littérature, en montrant qu'il est réellement à l'origine de la vague bit-lit.
Dernière oeuvre phare du genre, la saga Twilight de l'Américaine Stephenie Meyer. Parfois lue comme une apologie de l'abstinence (rappelons que l'auteure est mormone), Twilight prend pied dans les années lycée, où les thèmes du secret, de la tentation et des questionnements sont forts. Les vampires sont urbains, essaient de s'intégrer du mieux possible au monde qui les entoure, y compris en retournant en classe. Contrairement à Rice, Meyer concocte un mélange différent de la nature vampirique, amenuisant la part de violence pour augmenter le potentiel sensuel (le magnétisme animal, pourrait-on dire) de ses créatures de la nuit.
La Bitlit jeunesse, genre dans lequel on peut ranger Twilight, et la Bitlit adulte, où on retrouve Anita Blake ou encore la Communauté du sud, représentent ainsi la tendance actuelle du mythe littéraire vampirique. Un mythe qui s’est peu à peu débarrassé de sa tendance à la solitude, au manichéisme, sans pour autant renier le couple Eros et Thanatos qui lui est indissociable.
Mais cet effet de mode n'est-il pas, justement, qu'un effet de mode ? Ne peut-on penser que d'ici quelques années la figure vampirique retournera dans son cercueil, et ne ressortia que lorsque les gens auront besoin de nouveaux frissons ? Car certains observateurs ont pu remarquer que la figure vampirique revenait à la mode en temps de crise : dans les années 1930, avec la montée du fascisme, les années 1970 et la crise économique, et donc le début des années 2000... (note : les passages soulignés sont directement extraits de l'exposé d'Adrien Party)
A la suite André-François Ruaud et Isabelle Ballester, éditeur, anthologistes et écrivains spécialistes du fantastique prennent place pour évoquer la façon dont ils ont travaillé sur deux anthologies publiées aux Moutons électriques : Vampires et Bit-Lit. Plusieurs participants ont posé des questions, auxquels nos deux experts ont répondu de façon claire et concise, pour le plus grand plaisir de tous. Un nouveau temps de pause, au cours duquel les auteurs ont signé quelques ouvrages. Adrien s'est aussi prêté à l'exercice, puisqu'il a signé certains des textes du petit livre Le Guide de la littérature vampirique à trimballer, édité par ActuSF.
La salle s'est ensuite un peu dégagée pour que l'on enlève les chaises, et l'on a ensuite pu assister à la projection du documentaire Vampyres, quand la réalité dépasse la fiction, de Laurent Courau. Celui-ci n'a pas comme sujet le mythe vampirique, mais plutôt une communauté qui s'accroît autour du monde, inspirée par la culture vampirique. En effet au fil de ces dernières années de nombreuses communautés, plus ou moins inspirées du mythe, se sont constituées à travers le monde. Certains portent des crocs, d'autres boivent du sang humain, d'autres encore se disent prédateurs... Le documentaire montre un certain nombre de ces communautés, leurs rituels initiatiques (comme cet homme suspendu à des crochets et qui laisse goutter son sang dans des gobelets, brrrrr), leur façon de penser... A la fontière du SM, du gore et du satanisme parfois, le métrage laisse entrevoir des scènes parfois éprouvantes, entrecoupées d'entretiens informels avec des figures de la scène vampyrique (le Y est là à dessein). Parmi eux, Father Sebastiaan, prothésiste dentaire de profession, qui est présent au salon et pose quelques crocs de vampire pendant la diffusion du film. Entendre sa fraiseuse pendant que l'on voit certains vampyres expliquer leur philosophie de prédation, c'est assez efficace, croyez-moi. Pendant quatre ans Laurent Courau promène sa caméra entre Amsterdam, New York, la Nouvelle-Orléans, Venise et nous montre ce monde de la nuit. Mais attention, malgré la tentation sectaire, l'essentiel du mouvement, c'est du moins comme cela que le rappelle Sebastiaan dans le film, est un besoin de profiter de la vie, en goûtant d'autres plaisirs, qui sont interdits.
Le documentaire est vraiment bien fichu, monté de façon très dynamique avec de la musique techno d'ambiance. Après une heure de projection, Laurent Courau (à gauche) et Father Sebastiaan sont venus parler un peu du film et de la philosophie de la scène vampyrique. Moment très sympa, décontracté.
Après le démontage et le rangement de la salle nous sommes allés au restaurant pour déguster des assiettes (ou plutôt des planches) de charcuterie et de fromage, arrosées de vins rouge et blanc. Sur la photo, Yohann Piga, qui a réalisé l'affiche du festival.
Le lendemain le salon se poursuit par un ciné-concert sur une péniche, le Sonic, amarrée sur le quais de Saône. Au menu, projection du film Nosferatu de FW Murnau (1922), accompagné par la musique de TAT vs Music for the Space, le film étant muet. La soirée s'est terminée aux alentours d'une heure du matin.
Cette première édition du Salon du vampire a été un franc succès. Il y avait environ 90 personnes au plus fort de l'après-midi de conférences/projection de documentaires, et la salle du Bal des ardents était trop petite pour accueillir tout le monde. Même affluence au Sonic, là encore on commençait à se sentir à l'étroit. Les premiers échos sont assez enthousiastes, de nombreuses personnes en ont appris beaucoup sur les vampires et leurs ramifications. Sur le plan technique il n'y a pas eu de problème, les projections se sont bien passées. Il n'y a pas eu de débordements, on aurait pu craindre que la manifestation attirerait des personnes un peu marginales. Bien sûr il y avait des "créatures", mais la plupart des participants avaient un aspect à peu près "normal". L'association a enregistré ses premières adhésions, le libraire a vendu pas mal de bouquins, bref, tout le monde en profite, ce qui était le but.
C'était une première édition, elle fut fructueuse et intéressante, et bien sûr il y a des choses à corriger, mais nul doute que la prochaine sera encore meilleure !
Spooky.
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