Billy Summers est un tueur à gages, le meilleur de sa profession, mais il n’accepte de liquider que les salauds. Aujourd’hui, Billy veut décrocher. Avant cela, seul dans sa chambre, il se prépare pour sa dernière mission…
Chaque nouveau bouquin de Stephen King est un évènement en soi, et celui-ci ne déroge pas à la règle. Il émarge dans plusieurs genres ou sous-genre. Au premier niveau c'est un thriller, puisque nous suivons l'histoire du dernier contrat d'un tueur à gages. Dans un second temps c'est aussi un récit de guerre, puisque la couverture -je vais y revenir- de Billy est celui d'un écrivain, et que celui-ci se met à raconter sa vie, en particulier son passé de marine en Irak. C'est aussi un road trip, puisque Billy et la personne -totalement inattendue- qui l'accompagne vont traverser les Etats-Unis à deux reprises, et vont se poser un peu dans les petites villes, un élément présent dans la quasi-totalité des récits de l'auteur.
J'ai donc parlé de couverture ci-dessus. Car le contrat que l'on propose à Billy Summers consiste à abattre un criminel, au moment où il doit arriver, au terme de son transfert depuis une prison, sur les marches du tribunal où il doit être jugé pour avoir abattu une personne sans défense et en avoir agressé plusieurs autres. Car Billy a une spécificité, en tant que tueur à gages : il n'accepte d'abattre que des méchants (terme utilisé dans le récit). Ce qui ne fait pas de lui, bien sûr, un ange. Mais comme on ne sait pas quand le transfert de sa cible doit avoir lieu, son commanditaire l'engage à rester en planque pendant des semaines dans l'immeuble depuis lequel il devra abattre le méchant. Et à se créer une identité à usage temporaire, afin de ne pas éveiller les soupçons dans son entourage géographique : celle d'un écrivain qui vient écrire un livre, dont le sujet est top secret, dans un bureau loué pour l'occasion. C'est donc cette installation qui nous est conté par le menu : la sympathisation avec ses voisins de la banlieue où il loue une maison, ses déjeuners avec les avocats et les comptables qui travaillent dans les bureaux se trouvant au même étage que le sien, et même un début de romance. Nous avons aussi la description de tous ses préparatifs pour réaliser son contrat, et aussi pour... d'autres choses, qui vont se révéler par la suite. Et comme Billy s'ennuie un peu, qu'il fait quelque part le bilan de sa vie avant de se ranger des voitures, il se met à écrire. A écrire vraiment, en se disant que ça va s'arrêter lorsque son contrat arrivera à son terme et qu'il sera payé (2 millions de dollars) pour l'avoir mené à bien.
Je vais faire un peu de spoiler par la suite, mais pas tant que ça. Billy abat sa cible, et part en planque, au mépris du plan de fuite que son commanditaire avait préparé pour lui, car il sentait que quelque chose n'allait pas dans cette idée de se faire embarquer par des faux employés de voirie de la ville de Red Bluff dans la panique générée par la fusillade. Et c'est au cours de cette planque qu'un évènement inattendu va chambouler la vie de Billy. Il va recueillir une jeune femme, Alice, après qu'elle ait été droguée et violée par trois hommes et laissée pour presque morte devant l'appartement où il se terrait depuis un jours ou deux. Nous en sommes à la moitié du roman, et je n'en dirai pas plus sur son déroulement, mais la lecture en a été... passionnante.
J'ai dévoré le roman en trois ou quatre jours, totalement pris par la triple vie que Billy construit patiemment, ses envies d'autre chose une fois sa retraite prise, et le virage que prend l'une de ses vies après l'arrivée d'Alice. C'est un récit à tiroirs, ainsi qu'un récit encapsulé, puisque nous avons la retranscription au moins partielle du roman que l'apprenti-écrivain est en train de composer. King est bluffant de réalisme, de savoir-faire, de puissance dans chacun de ces récits, et il réussit même à ajouter un nouveau tiroir à la fin de Billy Summers. Il y a pas mal d'easter eggs également, avec un gros appui sur The Shining (ce qui occasionne la seule -minuscule- incursion de fantastique dans le récit. Une pincée du Fléau avec le surnom d'un personnage secondaire, un morceau des Enfants du Maïs, de 1922, de Ça dans un lieu où s'arrêtent Alice et Billy...
Il y a tout de même quelques longueurs, surtout dans la première moitié du roman (qui compte 550 pages), lorsqu'on nous décrit la routine que Billy met en place. Bien sûr, il y a une lecture psychanalytique à faire dans les sentiments des deux membres de ce duo inattendu, qui les ramène à leurs traumatismes respectifs, tout récent pour Alice, très ancien pour Billy... Et la fin du roman, comme souvent, est déchirante, pleine de dignité. On pensait qu'après des histoires comme The Shining, Les Tommyknockers, Misery, Le Corps, La Part des Ténèbres (liste non exhaustive), King avait tout dit sur la figure de l'écrivain, mais non, il réussit à nous montrer comment un écrivain peut naître. C'est fascinant. Je vous laisse avec cette citation, peut-être la meilleure définition de ce métier particulier :
"Saviez-vous qu'il était possible de s'asseoir devant un écran ou une feuille de papier- et de changer le monde ?"
Spooky.