Nous voici donc dans la lecture d'une exégèse, ou plutôt du "parcours" d'une oeuvre majeure. Comme il est dit en préambule, ce guide de lecture s'adresse à tous types de public : pour le lecteur novice, qui vient d'entamer le roman et se sent perdu ; pour l'expert, qui a déjà relu celui-ci et a envie d'en savoir plus sur l'univers de Tolkien avec quelques clés de compréhension ; pour ceux qui ont vu le(s) film(s) (un seul était sorti à l'époque) de Peter Jackson et souhaiteraient aborder l'oeuvre originale avec quelques explications. Bref, une façon idéale, si je puis dire, d'en savoir plus.
L'auteure, Catherine Bouttier-Couqueberg, est professeur de lettres supérieures au lycée Carnot de Dijon. Elle propose dans un premier temps de replacer Le Seigneur des Anneaux dans le contexte historique de la Terre du Milieu, ou plutôt d'Arda, puisque l'histoire de ce monde débute bien avant la formation de la région que fouleront Frodo et compagnie. Ainsi sont passés en revue les Premier, Deuxième et Troisième Âges, dans une description très rapide mais infiniment plus compréhensible que dans Le Silmarillion. A noter que nombre d'épisodes émaillant ces périodes sont publiés petit à petit dans la série Histoire de la Terre du Milieu. Puis on en arrive à la période où se déroule l'action du Seigneur des Anneaux (3001-3021 T.A.*). Alors bien sûr, si vous n'avez pas lu le roman et comptez le faire, il vaut mieux sauter cette partie (2 pages) qui contient quelques révélations quant à l'histoire...
Le livre est divisé en plusieurs sections ; d'abord les "Balises", qui permettent de poser tout ce qui est factuel, en termes de temporalité, d'espace, de créatures et de créations. Chaque sous-section est étayée par des cartes et des tableaux, indispensables à la bonne compréhension. Je citerai par exemple un tableau synthétique montrant quel personnage "principal" (huit sont pris en compte) intervient dans quel chapitre, quels lieux sont parcourus dans quel chapitre, le lieu d'apparition des personnages par ordre d'entrée en scène... A ce titre il y a d'ailleurs plusieurs cartes que je n'avais encore jamais vues, retraçant l'évolution géologique d'Arda et l'aspect de la Terre du Milieu à la fin du 3ème Âge en particulier.
Un petit chapitre est consacré à l'analyse -rapide- du premier film de Peter Jackson ; non pour en parler des défauts et des qualités, mais pour le replacer sur le plan de l'adaptation, c'est à dire des différences principales avec l'oeuvre originale. Comme la plupart des fans de Tolkien, CBC (oui c'est plus facile) regrette la suppression pure et simple de tout l'épisode concernant Tom Bombadil, si symbolique du message sous-jacent et de la philosophie du Professeur. Sans lui, c'est toute une partie de l'arrière-plan métaphorique qui passe à la trappe. Elle relève ensuite d'autres changements, pas forcément aussi malheureux, mais qui modifient un peu l'histoire. Certtains personnages secondaires (Gros Bolger, Glorfindel, Gloin, Elendil, Radagast...) ont ainsi disparu, sans que cela affecte vraiment l'histoire. Elle note donc les intentions de Jackson de rendre l'action plus "photogénique" (comme au Gué de Bruinen), plus palpitante (plus de combats, plus de gore, moins de temps passé dans les havres de paix), mais aussi de respecter au mieux l'univers de Tolkien, avec quelques clins d'oeil que ma foi je n'avais pas remarqués au (re)visionnage des films.
L'auteure rappelle l'attachement tout particulier de Tolkien pour les cartes représentant son monde, pour les nombreux lieux nommés (parfois avec plusieurs noms différents), mais aussi l'importance de décrire ces lieux : montagnes, forêts, vallées, landes... Chaque lieu particulier est passé en revue : la Comté, les domaines restant aux Elfes (Fondcombe, la Lorien), les forêts archaïques, la Moria et les royaumes des Hommes (Gondor, Rohan) font l'objet de fiches contenant l'origine du nom, une description sommaire du site, son historique (avec une frise matérialisant les périodes d'occupation), son rôle dans l'histoire et la références des passages concernés (dans l'édition Pocket). Les lieux "maléfiques" (l'Isengard, le Mordor) bénéficient du même traitement.C'est ensuite au tour des créatures, peuplades : nom, histoire, portrait, société et mode de vie, langage, rôle dramatique, figures, ancêtres mythiques... C'est ensuite au tour des personnages, principaux, secondaires et tertiaires (19 au total, à l'exception notable et un peu incompréhensible de Merry et Pippin). Le chapitre se clot sur les génalogies sommaires de quelques-uns des personnages.
Le chapitre suivant concerne les créations de Tolkien : d'abord la figure de l'Anneau, les palantiri (ou Pierres de vision), les objets "quotidiens", comme les manteaux elfiques ou l'épée d'Aragorn, héritée de son ancêtre Isildur. Les langages, élément très important de la création tolkienienne, sont également (un peu vite) évoqués.
Après les "balises", l'auteur propose en seconde partie les "boussoles", c'est à dire tout ce qui se trouve en arrière-plan de l'oeuvre, et qui permet d'en donner un éclairage supplémentaire. Tout d'abord la vie de l'auteur, son amour de la nature, sa francophobie (le grand succès de son oeuvre dans l'Hexagone rendant cet élément doucement ironique), l'émulation intellectuelle dans les différents clubs artistiques, son ambition de créer une mythologie pour l'Angleterre, son goût pour les langues... Mais curieusement, assez peu sur sa carrière d'enseignant. Il y a aussi quelques évocations de ses sources et inspirations. Par la suite Catherine Bouttier-Couqueberg essaie d'analyser les raison du succès du Seigneur des Anneaux. Ce n'est pas évident, c'est un ensemble de petites choses, comme un art de la mise en scène, un art consommé du feuilleton et du cliffhanger, un humour qui émaille l'épopée, ou encore un ensemble de valeurs fortes (peut-être un peu surannées, comme la figure du père) plutôt qu'un gros travail sur la psychologie des personnages, même si Gollum révèle, par sa dualité d'esprit, une sorte de synthèse de nombre de figures du roman.L'exposé se continue sur une sorte de fourret-out sans véritable structure, explorant toutes sortes de figures ou d'éléments sans beaucoup de lien entre eux, même si on trouve d'un côté le Mal, de l'autre le Bien. Le roman a plu aux Anglais parce qu'il racontait les aventures de gens qui leur resemblaient, les Hobbits : un peu pantouflars, assez conservateurs, plutôt chauvins et un tantinet xénophobes. Des individus ordinaires qui vont connaître un destin extraordinaire. La question de la religion est abordée, puisque Tolkien était pratiquant, mais il n'a pas placé beaucoup d'allusions religieuses dans son roman, sauf pour placer quelques maximes qui tiennent plus de l'art de vivre, de la philosophie que de la religion.
Le manichéisme apaprent de certaines relations, une certaine complaisance pour la société médiévale ont fait de Tolkien la cible de nombre de critiques, mais aussi sa récupération par certains media d'extrême droite. Les caractères des races de la Terre du Milieu sont clairement liés à leur origine ethnique et géographique, thèse "basique" de certains groupuscules. Plutôt que de s'inspirer de l'Histoire contemporaine, l'oeuvre de Tolkien prend ses racines dans les mythes existants.
L'ouvrage se termine par une intéressante bibliographie commentée, listant ouvrages de et sur Tolkien, sur la fantasy, sites internet, musique, ouvrages d'illustrations, jeux de rôles, jeux en ligne, produits dérivés... avant de revenir un peu plus longuement sur le film de Peter Jackson.
En définitive j'ai trouvé cet ouvrage synthétique fort bien fait, bien sûr pas exhaustif (je pense qu'aucun ne le sera), mais permettant d'aborder de façon aussi érudite qu'accessible l'oeuvre de Tolkien.
Spooky.
*Troisième Âge.