Cette œuvre est une histoire abracadabrante qui n’intéressera personne hormis les individus concernés par des faits malheureusement réels, romancés, maquillés et édulcorés par l’un des protagonistes.
Nous ne garantissons donc pas son authenticité intégrale, sa transparence ni même sa moralité.
Il était une fois l’histoire d’une rue résidentielle, la rue des poteaux située à la limite d’une petite ville appelée Vieux-Sac.
Depuis quelques temps y régnait un climat délétère confinant à une guerre larvée, le conflit opposait une seule famille, les Labarbe, à une bonne moitié de ses voisins de trottoir.
Le point de départ de la discorde avait été l’installation d’un terrain de Babel-Ball de fortune afin de distraire (et d’occuper) les jeunes pousses désœuvrées de la rue.
Comment ? Vous ne connaissez pas le Babel-Ball ? C’est pourtant un jeu très simple et ultra-populaire : une sphère en peau de mouffette (ne vous approchez pas d’une mouffette : sa flatulence naturelle vous parfumerait de telle façon que vous seriez aussi indésirable qu’un contrôle fiscal lorsque vous êtes à la tête d’un club de foot...) que deux équipes de trois joueurs se renvoient à l’intérieur d’une grande cage pyramidale en verre, chaque point étant salué par un grand éclat de lumière verte.
La première altercation avec Mme Labarbe (Jéhunpénice Danlatette étant ses prénoms) portait sur le fait que la lumière «empêche de regarder les étoiles et perturbe les hormones».
L’un des garçons, Omiel, précisant qu’il s’agissait là de leur unique moment de détente passé en commun, annonça que l’on ne jouerait plus dans la dernière part-temps de la journée et qu’ainsi elle pourrait observer à loisir la Voie Claquée, même sans lunettes de lune.
Quant à ses hormones, il lui fut répondu qu’elle était «assez vieille pour se contrôler» (et peut-être même assez vieille pour ne plus en avoir l’utilité, pensèrent certains des jeunes gens présents ).
En effet, suivant des formations différentes (Fainéantise, Escroquerie, Manipulations humano-animales...), ils ne pouvaient se retrouver que très tard dans la journée ; le Babel-Ball étant un passe-temps à la mode à l’époque, ils avaient décidé, d’un commun accord, de s’y adonner avec plaisir et sans retenue.
Quelques décades plus tard, les jeunes gens s’étant entraînés au-delà de l’heure convenue, totalement pris par le jeu, ils virent sortir de son antre (avec force cris et fracas) la douce Mme Labarbe intégralement hystérique et échevelée, aboyant à la bande qu’ils avaient «débordé les bornes de la politesse» et qu’elle n’hésiterait pas «à faire appel à la Patrouille Impériale si la violation de nos accords verbaux se prolongeait».
Totalement abasourdis, les adolescents la regardèrent débiter un flot de menaces comparable au Gulf-Stream ; il y avait là Omiel, Padpanic, le plus âgé, Ephédric le sportif, Pétomarc le crack de Babel-Ball, mais également Patine et Patrie, deux filles.
Padpanic était figé dans la position de frapper la balle avec sa palette de titane, bouche-bée face à la scène grand-guignolesque.
Omiel s’étant avancé afin de s’excuser du débordement puis lui demander de la mettre en veilleuse -avec ménagement-, elle a viré du rosé au rouge pivoine et, interpellant son tendre époux, a commencé à critiquer vertement l’éducation que leurs parents inculquaient aux jeunes gens.
Cette remarque ayant fait bondir et se diriger ceux-ci vers l’entrée de leur résidence, les Labarbe décidèrent de battre précipitamment en retraite, sous les quolibets et les noms d’oiseaux délivrés par les adolescents furieux.
Renonçant à les suivre, ils décidèrent de rentrer chez eux et de tout raconter à leurs parents éberlués. Par la suite, bien des soirées furent consacrées à commenter l’incident dans tous les sens ; on avait par exemple compris, grâce à des éclats de voix ponctués d’insultes fleuries, que c’était Madame qui portait la culotte dans le ménage Labarbe ; mais plus étonnante était la couardise démasquée du cher mari, prénommé Peurard, qui passait auparavant pour un homme éminemment sympathique, voire chaleureux.
Le plus triste dans l’affaire était que les enfants du couple terrible, Clope-Camel et Camomille, que déjà on voyait relativement peu, ne sortaient plus à découvert en vue d’un voisin, alors que les «pauvres chérubins» n’étaient pour rien dans l’affaire.
L’atmosphère passa donc en quelques décades de la quasi-amitié chaleureuse à l’indifférence haineuse teintée d’un sentiment de gâchis insurmontable. Mais le pire restait à venir...
A peine deux révolutions après ces premières escarmouches vint la fraise sur le gâteau (ou la fleur sur la tige, si vous préférez). Un jour de saison chaude, la glace et la cellulite fondaient à vue d’œil, les pins frémissaient de plaisir sous la caresse bienfaisante et lascive des rayons dorés bercés par une brise maritime hélas trop courte pour être véritablement rafraîchissante, les criquets et les starlettes chantaient à tue-tête qu’ils étaient les plus beaux, la température était élevée et faisait suer à grosses gouttes mains, aisselles et pieds (vous voyez, j’essaie d’installer l’atmosphère, tout en ménageant un suspense insoutenable).
Donc, ce jour-là, Pétomarc et Patine étaient les seuls membres de la bande à jouer dans la petite tour de verre, les autres étant partis en vacances ou ayant d’autres obligations à remplir.
Pétomarc étant allé chez lui afin d’aller chercher un outil (je l’ai écrit, c’est un terrain de fortune), il fut surpris, en revenant, de voir Peurard Labarbe courir vers la pyramide avec un marteau à air comprimé dans la main ; en effet, pour mettre le terrain hors-service, il suffirait de briser l’une des arêtes.
Patine s’étant interposée, Peurard tenta de la frapper avec le marteau. Alerté par les cris de la jeune fille, Omiel sortit de chez lui en trombe et prit l’homme à la gorge, ce qui lui fit lâcher son arme et rentrer au galop chez lui, où il se claquemura.
Mis au courant des événements, Vivier, le père de Patrie, voulut à plusieurs reprises s’expliquer «physiquement» avec l’agresseur de sa fille, mais Pétomarc réussit à l’en dissuader. De ce jour, les parents concernés se mirent à honnir la maison du coin de la rue et tout ce qui y avait trait, allant jusqu’à y envoyer des tracts émis par des sectes idéologiques illuminées.
De plus, les noms des nouvelles amitiés du couple Labarbe témoignaient du vide relationnel dans lequel ils avaient sombré : Jambon Aryen, Julot Grosnaseaux, Godefroy de Couillon de la Trouille Pissante...
Mais en tous les cas, personne ne sait comment l’histoire s’est conclue. D’aucuns prétendent que le père d’Omiel, entrepreneur impérial, aurait fait fermer le Manoir Labarbe (raison officielle : vermine grouillante...) et y aurait fait construire le plus grand complexe mondial de Babel-Ball ; on dit aussi que le père d’Ephédric, patron d’une agence de voyages, aurait fait déménager sans ménagement le ménage au Pôle Sud, où les jours et les nuits durent six mois (il faut contenter tout le monde, disait Constipus, le philosophe), et là seules les otaries jouent au ballon...