Au fil de ses premiers romans, Joe Hill s'affirme comme un auteur de genre avec lequel il faut compter. Après Le Costume du mort et Cornes (et en attendant de lire Fantômes, un recueil de ses nouvelles), voici donc son nouveau roman, bien mis en avant par les Editions JC Lattès.
Il suffit que Victoria monte sur son vélo et passe sur le vieux pont derrière chez elle pour ressortir là où elle le souhaite. Elle sait que personne ne la croira. Elle-même n’est pas vraiment sûre de comprendre ce qui lui arrive.
Charles possède lui aussi un don particulier. Il aime emmener des enfants dans sa Rolls-Royce de 1938. Un véhicule immatriculé NOSFERA2. Grâce à cette voiture, Charles et ses innocentes victimes échappent à la réalité et parcourent les routes cachées qui mènent à un étonnant parc d’attractions appelé Christmasland, où l’on fête Noël tous les jours ; la tristesse hors la loi mais à quel prix…
Victoria et Charles vont finir par se confronter. Les mondes dans lesquels ils s’affrontent sont peuplés d’images qui semblent sortir de nos plus terribles cauchemars.
Dès les premières pages les similitudes entre ce roman et celui de Stephen King (le père de Joe Hill, pour ceux qui ne le sauraient pas encore) Docteur Sleep m'ont sauté aux yeux. L'occasion pour moi d'ouvrir une grosse parenthèse théorique. Nous avons une préadolescente avec un pouvoir tout particulier, qui se retrouve confrontée à un une créature monstrueuse, qui enlève des enfants pour leur voler quelque chose. Nous avons aussi une paumée (la même, avec quelques années de plus) qui va devoir changer sa vie et lutter contre le retour du gros méchant, et d'un autre paumé complètement acquis à a cause, tout comme dans l'autre roman... Mais plus directement, le méchant de l'histoire vient de Docteur Sleep, mentionné par le grand-père de Dick Hallorann dans le roman de King ; à moins que ce soit l'inverse... Sont également présents un passage vers le monde du milieu que l'on retrouve dans le cycle de la Tour sombre, et à la prison de Shawshank, évoqués à maintes reprises dans l'oeuvre de King et théâtre de The Shawshank Redemption, nouvelle adaptée au cinam sous le titre Les Evadés). Après avoir travaillé ensemble sur une nouvelle-hommage à Richard Matheson, il semblerait que père et fils souhaitent connecter leurs univers respectifs, ce qui va donner du boulot à leurs exégètes... Hill connecte déjà ses romans et comics parus ; son concept de Raccourci fait référence à Cornes, avec sa maison de l'Esprit dans un arbre, et au Costume du Mort avec Craddock Mc Dermott. Le rapport entre l'homme au masque à gaz et Manx n'est pas sans rappeler celui de Randall Flagg avec un de ses sbires, pareillement couvert d'un masque, dans le roman-fleuve Le Fléau.
Lors de la fuite de Manx avec le fils de Vic, les policiers arrivent à repérer le signal de l'iPhone du gamin, mais voici l'étrange image qui leur apparaît sur l'écran :
(veuillez pardonner la piètre qualité de mon scan, je n'ai pas trouvé mieux sur internet...). Il s'agit bien des Etats-Unis (rebaptisé "Intras-Unis d'Amérique"), "froissés" au milieu, avec des lieux imaginaires, tous -a priori- issus de l'imaginaire de Hill, ce qui renforce ma théorie d'une oeuvre connectée. Cerclés de rouge ce sont les lieux présents dans NOSFERA2, de vert un lieu présent dans Cornes, en bleu un autre dans le roman Docteur Sleep (mais je n'en suis plus si sûr, la dénomination est différente), de jaune celui présent dans son comic Locke & Key (qui se déroule à Lovecraft, dans le Massachusetts). La page Wikipedia du roman relève Pennywise's Circus (ici absent, à moins qu'il s'agisse du même) ainsi que la ville de Derry, dans le Maine, qui existe seulement dans l'oeuvre de son père. D'après les dires de Joe Hill, la carte contient également des références à Orphanhenge et The Crooked Alley, deux romans de Hill non encore parus.
Refermons la grosse parenthèse. Et la comparaison entre le père et le fils doit s'arrêter là. Car leurs écritures sont différentes. Bien sûr, il y a toujours ce côté "objets précieux" (ici un vélo Raleigh pour Vic, une Rolls de 1938 pour Manx, entre autres), mais l'écriture de Hill est dense, très dense. Là où, pour King, je dévore un bouquin de 600 pages en trois jours, j'ai mis deux semaines pour en faire de même chez son fils. Pourtant la lecture du dernier tiers a été frénétique, l'action est débridée dans les 200 dernières pages. Lesquelles sont entrelardées de scènes introspectives, où la psychologie des personnages est très fouillée. Et la fin, qui balance entre onirisme et happy end, est tout de même bien biaisée par un évènement très triste. Hill ne fait pas de concessions au politiquement correct, et ça, c'est jouissif.
A noter qu'une adaptation graphique de ce roman a vu le jour en novembre dernier chez IDW sous le titre Wraith: Welcome to Christmasland. Il n'y a pas encore de traduction en vue, mais nul doute que ça va arriver vite chez nous.
Le design du bouquin est particulier, puisque la gouttière (la tranche, vue du côté interne) n'est pas coupée droite comme l'ensemble des livres, mais bien en conservant la découpe des cahiers. Le papier est très facile à déformer, coupé de façon non nette. L'intérieur est illustré par pas mal de dessins de Gabriel Rodriguez, dessinateur du comic Locke & Key et ami proche de l'auteur. Ces illustrations représentent non seulement les objets d'"extrospection", comme la Rolls ou la moto Triumph de Vic, mais aussi les différentes armes utilisés, des objets magiques...
J'avoue, ce NOSFERA2 est le meilleur bouquin de Joe Hill à ce jour. Un bouquin de haute tenue, qui affirme l'auteur comme une nouvelle voix du genre... Un roman singulier chaudement recommandé.
Pour une lecture plus axée "vampires" du roman, vous pouvez consulter ma chronique sur vampirisme.com.
Spooky