La Guerre des Mondes est une histoire particulière. Ecrit dans les dernières heures du 19ème siècle, à l’époque où la révolution industrielle commence à battre son plein et où certains peuples sont victimes de l’impérialisme britannique, c’est l’un des récits les plus connus de Herbert George Wells, célèbre pour son Homme Invisible, Sa Machine à explorer le temps, son Ile du Dr Moreau... Contant l’arrivée de belliqueux martiens sur notre planète et de la façon dont les terriens arrivent à les éliminer, il a connu des adaptations marquantes, à des moments-clés de l’Histoire. En 1938, c’est l’acteur-réalisateur Orson Welles, qui par le biais d’une saisissante adaptation radiophonique, qui réussit à semer la panique aux Etats-Unis. Rappelons qu’à cette époque, le nazisme était en pleine ascension chez les voisins allemands. En 1953, c’est Byron Haskin qui réalise un très bon film, très réussi (et qui n’a pas tant vieilli que ça), en plein début de Guerre Froide.
Le 11 septembre 2001, le monde est secoué par les attentats sur le World Trade Center. Le 21ème siècle, celui de la peur et de l’information est né à ce moment-là. De nombreuses nations vivent désormais dans la crainte du terrorisme de masse, et de nouvelles attaques lâches sont venus se rajouter au 11 septembre. Spielberg voit là l’occasion d’adapter à nouveau cette histoire-symbole, appuyant lors d’interviews-promo sur cette fibre. Admettons. Et c’est aussi pour lui l’occasion de retravailler avec Tom Cruise, avec lequel il avait fait de l’excellent boulot sur Minority Report. Pour l’occasion, Cruise accepte même de venir également en tant que producteur, ce qui lui permet d’avoir un droit de regard sur le scénario, le casting... Signalons que ledit scenario est écrit par David Koepp (Jurassic Park, L’Impasse, Mission Impossible, Panic Room, Hypnose...) et Josh Friedman (crédité sur Poursuite, et le futur Dahlia Noir) afin de placer l’action au coeur de ce 21ème siècle décidément très particulier.
Le film est un super-blockbuster, puisque deux studios -Paramount et Dreamworks- sont obligés de s’associer pour laisser au génial géniteur d’E.T., des Dents de la Mer et de Jurassic Park, entre autres, la possibilité de laisser s’exprimer tout son talent de conteur. Ray Ferrier est un docker divorcé et un père rien moins que parfait, qui n'entretient plus que des relations épisodiques avec son fils Robbie (Justin Chatwin, dont c’est le premier second rôle après Taking Lives), 17 ans, et sa fille Rachel (Dakota Fanning, vue dans Trouble Jeu, Man of Fire, Disparition -série produite par Spielberg-, ou encore Sam, je suis Sam), 10 ans. Quelques minutes après que son ex-femme et l'époux de cette dernière lui aient confié la garde des enfants, un puissant orage éclate. Ray assiste alors à un spectacle qui bouleversera à jamais sa vie... Dès lors, il ne songera qu’à sauver sa famille.
Entre la cyclothimie de Rachel et l’envie de se battre de Robbie, on a bien envie de les baffer, ces deux gamins. Tom Cruise, en père à la fois pathétique et attentif, a bien du mal à les retenir. Le scenario suit un cheminement presque inéluctable : la panique, le confinement, la capture, puis la réaction et la victoire. En cela, le film de Spielberg suit les grandes lignes du roman de Wells, ainsi que celles du film des années 1950, grâce notamment à certaines scènes très proches. Attention, la fin peut paraître “nulle” aux béotiens qui n’ont pas lu Wells. Grâce aussi à l’adjonction d’une voix off apparaissant au début et à la fin du métrage, interprétée par Morgan Freeman. Une voix profonde, rassurante, mais qui délivre en fin de parcours un message plutôt douteux, en adéquation avec une vision plutôt bushienne des événements, et qui à elle seule gâche définitivement le film. Vraiment dommage, car celui-ci est plutôt bien foutu sur 90% de sa durée, un vrai film de trouille, pour citer un ami.
Mais attardons-nous quand même sur ses qualités : des effets spéciaux irréprochables (on a quand même des frissons à la vision des fameux tripodes inventés par Wells, et matérialisés par un design tout à fait somptueux), des effets sonores proprement hallucinants dans certaines scènes (notamment celle de la cave, que l’on pourrait trouver un peu longue), des acteurs encore une fois impressionnants. Tom Cruise nous prouve qu’il se bonifie en vieillissant, on oublie que c’est un gars d’1 m 68, haut comme les trois marches de l’escalier qu’il monte en crabe, et il ne joue pas les super-héros. C’est un père qui a une vie ratée, qui a du mal à obtenir l’intérêt de ses enfants... Un vrai rôle, quoi. A ses côtés, Dakota Fanning, si on met de côté l’aspect horripilant de son personnage, joue d’une manière incroyablement juste. Peut-être est-elle vraiment le prodige qu’on nous promet ?
Lors de leur errance, Ray et Rachel rencontreront un drôle de bonhomme dans une cave, Harlan Ogilvy, un homme que la raison a quitté, et superbement interprété par Tim Robbins (L’Echelle de Jacob, Les Evadés, Mission to Mars, Mystic River...), saisissant dans son interprétation hallucinée, comme d’habitude. Clin d’oeil au film des années 1950, Spielberg offre une scène aux acteurs de l’époque, Gene Barry et Ann Robinson. Il reste quand même un réalisateur très doué, il arrive à installer une atmosphère très inquiétante. De par son sujet, on retrouvera des réminiscences de films très connus, tels que l’Independance Day d’Emmerich ou Signes, de Shyamalan, mais il est à noter que ce n’est pas le créateur de Rencontres du troisième type qui a copié ses devanciers, mais bien eux qui se sont inspirés du grand classique de Byron Haskin, lui-même rendant un bel hommage au matériau superbe de Wells. Entre respect de la matière originelle et modernité salutaire, Spielberg réalise quand même un beau film, malheureusement entaché en fin de course par un message assez maladroit. Pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin dans l’analyse du roman original de Wells, je recommande la lecture de la page dédiée sur le site Internet Cafard cosmique.
Spooky.