Hollywood aime les remakes, remakes de films étrangers, remakes de ses propres classiques... La seule excuse que je puisse trouver à cette singulière habitude, c'est qu'à force de creuser les mêmes thèmes, tôt ou tard, une pépite émerge de la fange. Les filons sont tout de même très rares, comme chacun sait. Il arrive qu'un remake soit meilleur que l'original, il arrive qu'il soit équivalent, et il arrive aussi que l'humble spectatrice que je suis n'ait aucun moyen de comparer l'œuvre et sa copie, parce qu'elle n'a jamais vu la première.
C'est donc à un terrifiant compte à rebours que nous assistons. Le spectateur un tant soit peu attentif possède parfois une longueur d'avance sur Rachel, ce qui pour un suspense pose quand même quelques problèmes. Cependant, l'atmosphère du film est intrigante. Refusant obstinément les facilités du grand spectacle, dosant avec un soin extrême les effets sanglants et/ou effrayants, le réalisateur Gore Verbinski réussit à instiller le doute sur la caractérisation de son film. Est-ce réellement une histoire fantastique ? Est-ce un thriller psychologique qui reproduit l'évolution intérieure du personnage principal au travers d'images faussement surnaturelles ? Je me suis posée la question durant la première moitié du film. La cassette vidéo, dont le contenu est paradoxalement assez décevant et dont les images guident (ou égarent ?) Rachel dans sa quête, possède bien une existence physique, mais elle est aussi l'émanation d'un esprit. Ce pourrait être, cet esprit, celui de Rachel confronté à ses propres incapacités, mais non : nous avons affaire à un véritable film fantastique. Le secret de la cassette est ignoble et, pour une bonne part, incompréhensible. Rachel n'en est qu'une victime parmi d'autres, parmi tant d'autres...
Son enquête, comme je le disais un peu plus haut, manque de crédibilité. Elle semble parfois rater des indices qui frappent le spectateur de leur évidence, tout en osant dans le même instant des rapprochements dignes d'une véritable spirite. Certains plans du réalisateur sont très inspirés. Difficile de faire du neuf en matière de frayeur, et pourtant, Verbinski parvient à surprendre notre œil bien rôdé en inversant les points de vue. Nous aurons ainsi quelques flashes-back des morts horribles du film, morts que le réalisateur ne nous a jamais montrées, mais que Rachel a vues devant nous. Les images qui sont restées gravées en elle et dont le seul témoignage était pour nous son visage terrifié, surgissent ensuite dans le film comme des extensions de la cassette vidéo. Images réelles, images inscrites sur l'écran à l'intérieur de l'écran, nous ne faisons plus la différence parce que Rachel elle-même les confond. Ainsi, quelque chose que nous n'avons JAMAIS vu revient nous hanter. N'est-ce pas une merveilleuse métaphore de l'histoire ? Cela témoigne en tout cas d'un art du montage assez impressionnant. La fin est quant à elle, totalement surprenante, sauf si l'on a vu l'original, mais dans ce cas, je vous le demande, pourquoi aller voir celui-là ?
Ah, si, il y a au moins une raison de retourner subir une deuxième fois cette histoire mouvante et ténébreuse : l'actrice. Verbinski a décidé d'utiliser Naomi Watts dans un rôle banal, presque caricatural tant il est elliptique et sans substance. Il n'a pas pris n'importe qui. Naomi Watts, blonde actrice australienne, a littéralement explosé dans le dernier opus de David Lynch, Mulholland Drive, où elle incarnait le personnage le plus complexe, et donc le plus intéressant d'un film à tiroirs de toute beauté. Bien sûr, aucune comparaison ne se justifierait entre ce chef-d'œuvre et Le Cercle. Cependant, ils ont un point commun, leur interprète principale, et c'est à souligner pour plusieurs raisons qui toutes tiennent du subconscient. Le personnage de Rachel Keller est une coquille vide ; journaliste que l'on devine ambitieuse, mais sans véritable réussite professionnelle au vu de son bureau, mère dépassée d'un enfant qui joue à la maison le rôle de l'adulte, elle navigue dans son propre monde, où ses fantasmes et la réalité ne font qu'un. Dans ce monde, les enfants acceptent la mort et restent à leur place, elle-même se fraye un chemin sans se retourner, et son ex petit ami ne réapparaît pas. S'il devait le faire, ce serait signe qu'elle a échoué à survivre.
Si elle découvre la solution, si elle l'applique, c'est avec la même détermination et la même cruauté qu'un enfant. Ou qu'une femme, bien entendu, une femme au bord de tout perdre. De bout en bout, elle est demeurée la même. Ce qu'elle a cru comprendre s'est avéré aussi illusoire que le reste. Son voyage intérieur s'achève là où il a commencé : avec son fils, dans l'incompréhension totale et réciproque qui les sépare inéluctablement. C'est en ce sens que Le Cercle n'est pas un film hollywoodien ; ça n'a rien à voir avec l'absence de happy end. C'est un film sur la solitude, sur la solitude atroce et absolue de chacun d'entre nous. Rachel le savait depuis le début. A présent, cette connaissance est partagée par son fils, et devient de ce fait, insupportable. Réunis parce qu'ils savent la vérité sur la cassette, ils n'ont jamais été aussi éloignés l'un de l'autre dans le monde réel. Et alors la cassette, instrument de mort, devient leur lien avec la vie.
Bérengère.