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...:::Ansible:::...

...:::Ansible:::...

Tous les territoires de l'imaginaire, en vitesse supra-luminique. Chroniques sur le cinéma, la littérature, les jeux, séries TV, bandes dessinées.

fictions

Publié le par Spooky
Publié dans : #Fictions

 

Le 23 octobre 19**, on retrouvait sur l’île Bouvet, appartenant à la Norvège et se trouvant par 54° Sud et 3° Est, une vielle femme, qui s’était signalée par un feu de branches sèches. Le capitaine du bateau qui la recueillit avait été intrigué par la fumée venant de cette île réputée inhabitée car étant à plus de 1 500 kilomètres de toute côte. Le capitaine Tatsumiru, donc, du baleinier «Rosée du Matin», prit ce jour là à son bord une femme dont la vieillesse et la fatigue lui parurent extrêmes, au point qu’elle ne put se déplacer pendant plusieurs jours que sur une civière et avec précaution. D’abord laissée au repos complet, la femme dut bientôt subir des questions relatives à son identité. Mais à l’évidence elle ne comprenait ni l’anglais ni le japonais ni aucun idiome parlé par les membres de l’équipage

Les différents examens pratiqués par le médecin du bord révélèrent un état quasi impeccable voire impossible pour une personne de l’âge qu’elle semblait accuser ; elle ne semblait même pas avoir faim ! Un fait était encore plus troublant : en l’auscultant, le praticien découvrit qu’elle avait six doigts à la main droite ; celui ci ne semblait pas difforme et ne faisait que renforcer l’harmonie de sa dextre.
La respectable personne, malgré son incompréhension, avait l’air heureux que l’on l’ait recueillie et la sérénité couvrait son front sillonné de profondes rides. Cependant la nouvelle avait été transmise par radio au Japon et la presse internationale s’était emparée avec une curiosité inaccoutumée de l’histoire ;

Et évidemment, cela suscitait de nombreuses questions : comment cette vielle femme s’est-elle trouvée là ? On n’a signalé aucun naufrage dans les environs et une personne de son âge, fut-elle dans une forme olympique, aurait eu du mal à nager dans ces eaux froides et hostiles... Pourquoi avait-elle l’air de bien se porter, alors que l’on n’avait trouvé aucun relief de repas sur l’île Bouvet ? Qui était-elle et d’où venait-elle, tout simplement ? Le monde commençait à se passionner pour ce précédent et lors de l’arrivée du baleinier à Yokohama, on put voir plusieurs milliers de nippons (entre autres...) se presser sur les quais, inadaptés par une telle affluence, ce qui occasionna quelques incidents malheureux, tels des piétinements des noyades... Chacun veut voir, un peu comme lorsqu’il y a un accident de la circulation : tous s’arrêtent pour tenter d’entrevoir du sang ou des lambeaux de peau... Là, chacun attendait celle qui avait échappé à un mort certaine à court terme mais qui en même temps plutôt éloignés. Ils avaient le sentiment d’une insondable fierté intérieure, comme si l’événement auquel ils assistaient allait changer la face du monde. Et, dans un sens, ils avaient raison.

La vieille femme fut prise en charge par les services secrets japonais. Ces messieurs dames, tout en la ménageant, lui demandèrent en une trentaine de langues différentes d’où elle venait et les questions corollaires. Il était difficile de déterminer sa race, car elle semblait être le produit de nombreux brassages et en même temps appartenir à une race particulière, au teint chaleureux assez proche de celui des Malgaches sans pouvoir pour cela prétendre en être issu. Les interrogatoires et examens se poursuivirent jusqu’au sixième jour, quant se produisit un événement que l’on pourrait qualifier de surnaturel. Alors que le spécialiste d’Italien s’installait dans le bureau où se trouvait la vieille femme, celle-ci lui montre son bloc de papier d’un air fiévreux et empressé ; comme l’homme ne semblait pas comprendre, elle lui prit le bloc des mains et le maintint à plat devant elle sur le bureau. D’abord interloqué par la vigueur du geste, le linguiste leva les yeux vers le visage de la vieille femme : celui-ci était fendu par un sourire béat et oscillait de droite à gauche. Croyant à une crise, Nogachi appela le chef du service, Opikono, qui arriva en courant, accompagné d’un assistant. Le mouvement pendulaire de la vieille femme s’était quelque peu accentué et celle-ci récitait une étrange mélopée, à la mélodie envoûtante malgré la voix rocailleuse, voix que l’on entendait pour la première fois - elle entrait en transe- puis la chanson s’arrêta (et le mouvement également) et la femme resta prostrée sur sa chaise, les yeux clos. Elle resta ainsi plusieurs secondes puis ses yeux s’entrouvrirent, dévoilant des pupilles bleu azur d’une beauté et d’une vitalité déconcertantes ; elle pointa son sixième doigt vers le ciel et le redescendit pour désigner le papier ; le doigt s’emplit d’une lumière purpurine, puis jaune puis turquoise, sans passer par les teintes intermédiaires ; l’éclat avait une telle intensité que la pièce en était éclaboussée ; les silhouettes déformées des personnes présentes semblaient danser sur les murs en un étrange sabbat, environnées de lueurs éclatantes et vives. La femme se mit à écrire avec son doigt redevenu bronzé ; mais l’encre qui sortait du doigt était d’une couleur orangée, un orange semblable à celui du soleil automnal, lorsqu’il se couche. Eberlués par les jeux de lumière, les trois spectateurs mirent quelques minutes à s’en remettre, et lorsqu’ils se retournèrent vers la vieille femme, celle-ci avait déjà écrit toute une page de caractères serrés et alignés. Elle semblait écrire comme sous la dictée d’un être invisible, totalement sous son emprise. A première vue, son écriture était illisible, mais Opikono mit cette impression sur le compte du désordre visuel qui avait résulté du phénomène lumineux précédent. Il se tourna vers ses voisins pour lire leurs réactions sur leurs visages : son assistant se frottait les yeux en se plaignant ; quant à Nogachi, lui non plus semblait ne pas comprendre ce qu’il voyait.

Le temps semblait suspendu dans le petit bureau des services secrets japonais. Quiconque aurait à ce moment-là jeté un coup d’œil dans la pièce aurait ressenti un certain malaise ; il (ou elle) aurait vu une vieille femme à la peau bronzée écrire avec son doigt, un doigt qui avait l’air bizarre, on ne saurait dire pourquoi, sous les yeux exorbités de trois hommes. L’un d’entre eux faisait craquer ses doigts (encore un grand nerveux), un autre se pinçait le bras et le troisième tentait de se détourner de la femme, sans y parvenir... Aucun des trois n’osa trop bouger durant tout le temps qu’elle écrivait. Elle pondit ainsi 42 feuillets couverts de hiéroglyphes dont on parlera plus loin. Lorsqu’elle eut terminé son œuvre, elle poussa un profond soupir de satisfaction (de soulagement ?) et s’endormit instantanément sur sa chaise, les traits tirés, les mains sur les accoudoirs. Les trois hommes furent obligés de la transporter sur son lit car elle menaçait de choir de son perchoir.

Pendant que les médecins s’empressaient auprès de la vieille femme, Opikono se rendit au service des langues étrangères, avec sous le bras les 42 feuilles grossièrement serrées dans une mauvaise chemise, et Nogachi pour l’aider dans ses recherches.
Après plusieurs heures d’investigations fiévreuses mais vaines, ils s’adressèrent à Takana, spécialiste des langages disparus. Lorsqu’ils lui montrèrent la liasse, il la serra convulsivement et cria, la voix tremblante, la bave aux lèvres :
-Non ! Ce n’est pas possible ! Ce serait trop beau...
Opikono et Nogachi se regardèrent, doutant de la raison de leur collègue.
-Où avez-vous eu ça ? reprit ce dernier, agressant littéralement les deux hommes.
-Vous savez de quelle langue il s’agit ? demanda Opikono, essayant de le calmer.
-Venez avec moi, dit soudain le grand et maigre Takana, et il se dirigea sans attendre vers son rayonnage, au plus haut duquel il prit un petit volume qu’il présenta à ses collègues. Malheureusement, le titre était effacé et Nogachi demanda :
-Qu’est-ce que c’est ?
-La clé de votre problème, messieurs ! répondit, en substance, l’énigmatique Takana.

Il parcourut rapidement les pages racornies et jaunies du petit opus et marmonna, songeur :
-C’est bien ce que je pensais...
-Pardon ?
-Ce livre indique que des inscriptions semblables à celles de vos pages ont été relevées au milieu du Sahara, sur des monolithes en France et en Angleterre, et sur des plaquettes d’argile au fond de l’Atlantique...
-Ce qui signifie ? demanda Opikono qui n’entendait rien à tout cela.
-Que cette écriture que vous m’avez présentée est d’origine atlante, dit Takana, étonnamment calme et serein. Où l’avez-vous eue ?

Opikono lui raconta toute l’affaire, car son collègue n’avait pas fait le lien entre la vieille femme et les feuilles écrites en Atlante.
-Vous avez dit qu’elle écrivait de manière automatique ? ! demanda Takana, l’air soucieux.
-Oui. Elle était comme... hypnotisée, répondit Nogachi, curieux de connaître la signification de ce détail.
-C’est trop clair. Votre vieille femme -comment l’a surnommée la presse ? «Bouva», c’est ça- est, ou en tout cas était en liaison avec quelqu’un qui lui a dicté ces mots couchés sur ces papiers ; ce quelqu’un, qui connaît l’écriture atlante, est même peut-être un représentant de cette civilisation légendaire disparue depuis l’Antiquité... Vous vous rendez compte ? C’est fantastique, c’est inespéré, c’est...
-Pouvez-vous déchiffrer ceci ? demanda Opikono froidement, en désignant la liasse. C’est pour cela que nous sommes là.
-Il nous faudra certainement des années pour mettre à profit cette formidable découverte...
-Mais les services secrets n’ont pas le temps d’attendre ! répartit l’agent, buté.
-Je suis désolé, répondit Takana tout en arborant un large sourire de satisfaction, ressentant une intense bouffée d’excitation.
-Pas autant que moi, dit Opikono, visiblement agacé. En tout cas, silence total sur toute cette affaire, compris ? Et il appuya cet ordre par des gestes significatifs.
-Oui Colonel ! répondit Takana. C’était la première fois qu’il utilisait le grade de son vis-à-vis depuis le début de l’entretien.



Mais le secret n’en resta pas un très longtemps. D’abord à l’intérieur des services secrets, puis dans les hautes sphères du pouvoir (son altesse l’empereur elle-même en eut vent) ; les Japonais avaient poussé l’art de s’infiltrer dans des réseaux jusqu’à interpénétrer le leur propre... De confessions en bouches-à-oreille, d’entretiens à huis-clos en déclarations fracassantes, au bout d’un mois, la presse publiait une kyrielle de versions différentes de l’affaire, agrémentées d’affabulations et d’enjolivements, certains intéressants et la plupart totalement fantaisistes voire même risibles. Cette histoire, à la une de tous les médias, apporta bien sûr un regain d’intérêt envers cette vieille femme étrange, sortie de nulle part et communiquant avec une civilisation disparue depuis des milliers d’années. Des hordes de reporters faisaient nuit et jour le siège des bâtiments où on supposait qu’était gardée «Bouva» pour obtenir ne serait-ce qu’une bribe d’information, fût-elle vraie ou fausse, afin de garder ou de gagner le premier tirage ou de faire sauter l’audimat ; car l’affaire débordait du territoire étriqué des îles nippones, et le monde entier s’interrogeait, par l’intermédiaire des médias :
-Que mange-t-elle ?
-Est-il vrai qu’elle a la peau bleue ?
-Est-elle de notre planète ?
-Est-il vrai qu’elle a une trompe à la place du nez ?
-Combien a-t’elle de jambes ?
-Nous annonce-t-elle la fin du monde ?

Mais les services secrets avaient imposé un silence radio complet à ses agents, les menaçant de mesures disciplinaires draconiennes. Sur la dernière question citée, ces messieurs tentaient de trouver la réponse, ayant appelé à la rescousse tous les spécialistes mondiaux s’étant quelque peu frottés à ces énigmatiques idéogrammes, multipliant ainsi la vitesse de résolution du problème qu’ils posaient. Car il n’y eut pas d’autre séance de spiritisme et le temps lui-même devenait un ennemi ; depuis le spectacle «lumière sans son» auquel les trois agents avaient assisté, la vieille femme semblait décliner. Visiblement, celui-ci avait littéralement «pompé» une grande part de l’énergie qu’elle affichait depuis sa récupération sur l’île Bouvet. Ses forces déclinaient de manière constante, quoique très lente, si bien que, de l’état d’une personne de 20 ans, elle parut vieillir d’une soixantaine d’années (au moins !) en six mois ; au bout du cinquième, elle devait rester constamment alitée, n’ingérant de la nourriture que par intraveineuse, recrachant systématiquement tout ce que l’on mettait dans sa bouche. Au crépuscule de leur vie, on peut parfois entendre les gens parler une langue inconnue pour eux mais que l’on a parlée devant eux. Ainsi, au terme du sixième mois, l’infirmière qui veillait «Bouva» l’entendit dire très distinctement :
-RitornerÓ.

Puis elle rendit son dernier souffle et son cœur s’arrêta. Tout le monde s’interrogea sur la portée de cette ultime parole -qui signifie «je reviendrai» en italien, alors qu’on avait tenté, sans succès ni conviction vu son état empirant, de lui faire apprendre l’anglais alors qu’une première analyse de sa trace écrite était communiquée ; il s’agissait d’une œuvre à portée philosophique, qui apparut à tous d’une immense sagesse et d’une justesse saisissante. Malheureusement, l’œuvre était inachevée, car elle semblait interrompue au beau milieu du premier chapitre, quand l’introduction en annonçait une bonne trentaine. Cela laissa le monde des penseurs et celui des opprimés dans un profond désarroi : cependant ils espéraient beaucoup de la parole prophétique de «Bouva»...



Le lendemain de cette mort, on fit une étrange découverte à l’autre bout du monde.

Pedro surveillait les enfants qui plongeaient dans ce bras de l’Amazone pour repêcher son équipement, englouti à la suite du chavirement de sa pirogue. Il lui sembla entendre à quelques mètres des petits cris qui ne cadraient pas avec le décor de jungle qui l’entourait. Intrigué, il contourna l’amas de débris qui obligeait la rivière à charrier des objets hétéroclites et découvrit, posé à même le sable de la plage un bébé qui semblait né la veille, à peine protégé par un lambeau de couverture de couleur indéfinissable. Malgré la faim qui provoquait ses cris et son agitation, le bébé souriait, manifestement heureux d’avoir été trouvé. Soucieux de calmer le petit geignard, Pedro le prit dans ses bras ; écartant négligemment la couverture afin de déterminer son sexe, il ne put réprimer un mouvement de surprise : la main droite de la petite fille bronzée avait un sixième doigt et elle souriait.

 

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Publié le par Spooky
Publié dans : #Fictions

Il s’est passé une chose étrange avec Gros temps. Je voulais écrire un «petit truc» sur le mythe du loup-garou.
Je laissais mon imagination construire un scénario (un peu faible, à mon goût ) et l’écrivis en une nuit, comme c’est souvent le cas.
Pour les personnages de Pierre et Raquette, je m’étais directement inspiré de mes grands-parents, qui reposent en paix. Ceux-ci, après la lecture de la nouvelle finie, me demandèrent qui m’avait raconté cette histoire.

Ma nouvelle raconte l’attaque d’un poulailler par un loup-garou. Quelques années avant l’écriture, le poulailler de mon grand-père avait été totalement dévasté par des rats et les détails étaient les mêmes. Je me souviens toujours de cet incident...


C’était un jour de pluie, de grande pluie. On aurait dit que les écluses du ciel s’étaient ouvertes d’un seul coup pour livrer le passage aux eaux des fleuves aériens accumulées depuis des siècles. La Gironde ne semblait avoir pour relief qu’un mur infranchissable et sans fin. Du fait de la tempête, toutes les activités quotidiennes avaient été suspendues, paralysées dans le département et chacun était resté chez soi en ce mardi d’août. Les anges et les saints avaient soulagé leurs vessies pendant toute la journée et la Lune, pleine, s’étaient levée sans qu’on puisse la distinguer à travers la pénombre blafarde et sinistre engendrée par l’afflux des nuages gonflés. Les Girondins, alarmés par les roulements incessants du tonnerre, n’osaient allumer le moindre appareil électrique. André se préparait à piquer un sprint pour rentrer chez lui. Il se maudit à haute voix d’avoir installé son atelier à l’écart de sa demeure ; à l’époque ou cela s’était réalisé, il lui semblait que l’isolement serait bénéfique pour son inspiration créatrice (André était dessinateur de Bandes Dessinées ). Son amertume fut en partie effacée par la pensée d’un repas chaud qui l’attendait, préparé par Dominique, sa femme, il s’élança donc sur les vingt mètres qui le séparaient de son foyer douillet. A ce moment précis la pluie s’arrêta à l’improviste et André, levant la tête, put voir la lune sortir des nuages sombres, brillante comme un doublon d’or. Mais sa contemplation fut tout de suite interrompue par une étrange sensation chatouilleuse sur tout son corps. Lui qui possédait un épiderme plutôt glabre, sa peau était à présent cachée par une impressionnante toison de poils bruns et drus. Il aurait pu éclater de rire si de sa gorge n’était sorti un grondement étouffé. Son groin monstrueux frissonna et éternua bruyamment, puis l’homme perdit conscience. L a bête hurla à la face de la lune et huma l’air en roulant follement des yeux. Avec un rire hystérique, elle bondit au-dessus de la clôture et disparut dans la nuit et la pluie s’était remise à marteler le sol.

********************

Pierre fut brutalement tiré de sa somnolence par sa femme Raoulette. Il rêvait qu’il était revenu au bon temps, celui de la guerre, quand il s’occupait des avions alliés en Angleterre. Mais ce temps était révolu et à sa retraite il s’était mis à élever des poulets dans la banlieue de Bordeaux. Sa femme, à l’énergie débordante, le secouait comme un cocotier tout en lui criant dans les oreilles : Perrotte ! J’entends les poules crier ! Va voir ce qui se passe ! Sa femme ayant la fâcheuse habitude de donner des ordres et de déranger tout le monde n’importe quand, il lui lança un regard noir accompagné d’une malédiction silencieuse. Il se leva finalement et enfila son imperméable tout en prenant sa lampe-torche :



- C’est encore ce renard qui essaie d’entrer dans le poulailler afin de compléter son menu. Dès qu’il verra le faisceau de la lampe, il déguerpira, maugréa-t-il.

Il sortit en bougonnant sous la pluie, suivi du regard inquisiteur de Raoulette. Sa lampe-torche balayant l’obscurité torrentielle, Pierre progressait avec circonspection sur le sol boueux de sa cour ; il était guidé par les cris de terreur de sa volaille, parfois couverts par le tonnerre, semblables au son du choc entre deux boules de billard répercuté et amplifié dans une énorme caisse de résonance.
Les poulets cessèrent de crier brusquement. Proférant un juron relatif au renard, Pierre accéléra le pas. Il manqua rentrer tête baissée dans le grillage du poulailler.
Braquant sa torche vers l’intérieur, il contempla avec horreur le contenu : des plumes rousses, collées par du sang poisseux, semblaient dessiner une étrange fresque sur les murs de bois, le sol en terre battue et le toit en tôle.
Des lambeaux de chair enrobant des éclats d’os gisaient ça et là dégageant un effluve chaud et métallique. Détournant son visage afin de réprimer un haut-le-cœur, Pierre entendit un grondement à quelques pas de lui.
Ses chiennes étant bouclées dans un appentis, il braqua sa torche sur sa gauche afin de voir l’animal responsable du carnage, remarquant au passage un grand trou dans le grillage. Il réprima un cri.

********************

Tandis que le ciel avait lâché un craquement épouvantable, il avait aperçu furtivement une forme ramassée de la taille d’un homme - d’un grand homme - et un long museau brun sur lequel clapotait la pluie.
Le temps d’un battement de cils, l’apparition s’était évaporée. Enervé et fatigué, Pierre décida de jouer la carte de l’intimidation et cria :
-Qui que tu sois, homme ou animal, il vaut mieux pour toi que tu déguerpisses en quatrième vitesse si tu ne veux pas garnir mon tableau de chasse !

Seul le murmure de la pluie battante lui répondit. Au bout de plusieurs secondes qui coulaient comme des siècles partit de derrière lui un grognement étouffé allant crescendo ; en même temps, il entendit quelqu’un courir sur le sol mouillé dans sa direction.
Ne voyant rien d’autre que de l’eau en cataracte, Pierre ne put rien faire d’autre que lever ses bras en un geste dérisoire de défense et pousser un cri de détresse.
Au moment où le grondement allait l’engloutir, il lui sembla qu’une détonation claquait, mais le son lui parvint confusément ; dans la seconde qui suivit, le cri de la bête s’étrangla dans un «Outch ! » d’étonnement.
Pierre entendit une masse s’abattre lourdement avec un bruit mouillé. La partie de billard céleste devait être terminée car la pluie cessa presque instantanément de tomber.
Ouvrant les yeux, le retraité vit s’avancer vers lui une forme vermeille. Un autre battement de cils et il reconnut Raoulette étrangement fagotée dans son imperméable rouge.
Elle arborait son fusil de chasse, de la gueule duquel sortait une fumée serpentine.

-C’était un chien enragé ? demanda-t-elle en s’assurant que son mari n’était pas blessé.

-Je ne sais... commença Pierre en se retournant afin de voir le cadavre de la bête. Il eut un choc : un homme nu était couché dans la boue imprégné du sang dans lequel il baignait.
Raoulette s’approcha pour essayer de l’identifier ; ne le reconnaissant pas, elle fut interloquée par le sourire qui ornait son visage, comme s’il avait été libéré d’un grand poids.

 

Spooky.

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Publié le par Spooky
Publié dans : #Fictions

Le néant. Voilà où je me trouve à présent.

Je n’ai pas de meilleur nom pour désigner cet endroit. Comment appelleriez-vous ça ? Où que mon regard se porte, je ne vois rien. Attention, il ne fait pas tout noir, non, absolument pas. On dirait que je me trouve au cœur d’une sorte de brume immatérielle, percée d’une lumière diffuse. Mais cette lumière diffuse n’est pas celle du soleil. Ni celle de la Lune. Encore moins une sorte de lumière artificielle. Ne me demandez pas comment je le sais, je le sais, un point c’est tout.

Deuxième certitude, je ne sens aucun contact. Absolument aucun. Pas un souffle. Même pas sous mes pieds. Rien sur ma peau. Rien de rien. Comme si j’étais tout nu, flottant au milieu de nulle part. et je ne peux pas le vérifier, puisque lorsque j’essaie de baisser les yeux sur mon corps, je ne vois rien. Suis-je devenu aveugle, ou pire, tombé dans le coma ? Aucun moyen de le vérifier. Tous mes sens semblent annihilés, désintégrés. Pas d’odeur. La brume n’a pas de goût non plus. Mais dispose-je des organes et muscles permettant de le savoir ? Je n’en sais rien.
Pourtant je ne suis pas (ou je ne fus pas) un simple esprit vagabondant dans les limbes depuis la nuit des temps. Je me souviens de mon identité, de ma vie. Christian Robin. 34 ans, divorcé sans enfants. Comptable dans une société d’assurance. J’ai une Ford Escort qui tombe en ruine et une tante atteinte de la maladie d’Alzheimer. Voilà quelques éléments qui parsèment mon existence. Je me souviens de mes trois derniers repas, et de la taille de la jupe de ma chef. Il n’y a pas plus cartésien qu’un comptable, merde !
Mais là, je suis complètement largué. Comment suis-je arrivé là ? Si toutefois il y a un là. Essayons de nous souvenir. En sortant du boulot, je suis allé jouer au squash avec des copains. J’ai même pris un coup de raquette de ce con d’Alex. Dans les dents. Je suis resté sonné dix bonnes minutes. Après la douche, j’ai pris ma voiture pour rentrer chez moi et… je me suis retrouvé là. J’étais au volant, regardant les passants qui traversaient devant moi au feu rouge, et pfuiiiittt ! Dans les limbes le Cricri. A la Star Trek.
Bon, puisqu’on est là, essayons de visiter. Mais par quel côté ? Suis-je seulement capable de me déplacer ? On verra bien. Bon okay, on ne verra rien, puisqu’il n’y a aucun point de repère dans le Grand Rien. Essayons de nous concentrer… la lumière semble varier d’intensité, c’est bien un signe qu’on bouge, non ? Continuons. Je n’ai toujours aucun contact, pas d’odeur, je ne vois même pas d’ombre. Ca va durer longtemps ? Depuis combien de temps dure cette histoire ? Une minute, trois heures, cinquante ans ? Le temps ne semble pas avoir de prise ici, ni sur moi…

***



Eh, une minute. Il y a au moins un sens qui fonctionne, là. J’entends quelque chose. On dirait un murmure. Non, concentre-toi, Christian. Un cri ? C’est quelqu’un qui crie ! Mais le cri semble écrasé, distordu par la distance… Je ne suis pas seul dans ce merdier ! J’essaie de crier à mon tour, mais mes oreilles refusent de me confirmer ce que je hurle dans ma tête. Hé ho ! Vous m’entendez ? Do you speak english ? Si parla l’italiano ? Je suis là ! Ohé !

Arrête Christian, tu es ridicule. Tu ne sais pas où tu es, tu ne sais même pas quand tu es. Et puis du coup, la voix s’est tue. Si c’était une voix. Tu es bon pour essayer d’en trouver l’origine. Et d’ailleurs, ça venait de quelle direction ? De là, de là, ou là ? Pas facile, hein, quand on ne sait même pas si on a la tête à l’endroit. Bon, continuons le chemin, on finira bien par buter sur un arbre, une route, un éléphant. Cartésien, hein ?

***



Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, mais quand on arrive à répéter 20 fois ses tables de multiplication, à se chanter le répertoire de pascal Obispo (faut pas demander à un comptable d’avoir bon goût non plus, hein), et à anticiper sur le rapport financier, on doit avoir passé un certain temps à se tourner les pouces… Ah tiens, je sens un truc. Ca vient de ma bouche. Ca tire… Mais, qu’est-ce que ? Mes dents me font un mal de chien ! Ca c’est les suites du coup d’Alex. Sûr qu’il l’a fait exprès pour me faire chier. Il ne m’a pas raté… Mais, il y a quelqu’un, là, en face de moi ! On dirait… Non, ce n’est pas possible, on dirait que c’est moi ! Et j’ai l’air terrifié… Mon double met ses mains à sa bouche, qui a l’air de se déformer. Eh ! Y’a des trucs qui bougent sous les joues ! Enlève tes mains ! Ah merde, on dirait qu’il retire une dent et… Mais ça me tire ! C’est quoi cette dent ? Elle est toute rouge… C’est du sang ? Et elle fait au moins vingt centimètres de long ! Lâche ça ! Merde, y’en a d’autres qui tombent ! Jaunâtres, rouges et même noires… Bon dieu, qu’est-ce que je déguste… Je ne vais pas tarder à tourner de l’œil ! C’est n’importe quoi ces dents… On dirait des serpents maintenant. Elles se tordent dans tous les sens en tombant… Ah, la douleur a disparu ! Et mon double aussi, tiens. Vraiment bizarre, cette expérience. Je ne peux pas voir mon corps, mais c’est comme si j’avais pu voir mon reflet. J’ai déjà entendu des histoires de corps astral sortant pendant qu’on dort, et dans cette situation, on se voit soi-même, dormant dans le lit… Comment savoir ? Bon, j’ai plus de ratiches, mais je me sens tout nauséeux.

***



Le cri bizarre est revenu. Un peu plus fort cette fois-ci. Mais c’est quoi ce cri ? Un rire, une expression de souffrance ? Est-ce que c’est humain, au moins ? Difficile à dire. C’est un son modulé, un peu comme quand on passe à vélo sur des pavés disjoints, et qu’on essaie d’articuler. A-a-a-a-a-a-a-a… Une chose est sûre, la voix est grave. Ce n’est pas une fillette ni un petit oiseau. On progresse à pas de géant, dis-moi. La voix se rapproche est-ce moi qui bouge, ou elle :lui ? Ah merde, je n’entends plus rien. J’essaie d’appeler à mon tour, essayant tous les mots que je connaisse en plusieurs langues. Aucun son ne parvient à mes oreilles. Je commence à en avoir marre. Dire que j’avais l’intention de me faire un plateau-repas devant un bon DVD… c’est trop injuste Qu’est-ce que vous voulez de moi ? Prenez toute ma collection de BD, ça a fait fuir ma femme, ça doit valoir quelque chose, non ? J’ai pas envie de passer l’éternité à errer dans de la vapeur d’eau, avec autant de conscience qu’une pince à linge ! Et c’est quoi cette voix bizarre ? Un jeu de cache-cache ? J’ai jamais aimé ce genre de jeu, je perdais systématiquement… Bon, moi, je m’assois là et je ne bouge plus. Ah merde, c’est vrai, je ne peux pas m’asseoir.

Le cri revient. Il se déplace. Ca s’entend dans les inflexions de la voix. Ca monte, ça descend… Je commence à avoir sérieusement les chocottes. Qu’est-ce que c’est que ce truc ? C’est humain, pas humain… ? Je suis à présent persuadé que l’être –quel qu’il soit- qui émet ces cris étranges me veut du mal. Mais pourquoi ? Je n’ai rien fait de mal. Je suis arrivé là par hasard, moi. Et si je repars aussi sec que je suis arrivé, je serai le plus heureux du monde…

La voix est derrière moi à présent. Tout près. Je me retourne, mais bien sûr, je ne vois rien ou presque. La voix ne s’éteint pas, et semble tourner autour de moi. A peu de distance, mais impossible de déterminer où. Quand cette créature va-t-elle se décider à se montrer ? Je lui fais peur ? Il n’y a aucune raison pour cela. En plus, je suis totalement immatériel, je suis juste… un esprit. Elle ne me fait pas peur, oh ça non. Elle s’est tue, c’est le bouquet !

***



Je recommence à errer sans but ni fin dans cet entremonde. Au moins, quand il y avait la voix, ça me faisait de la distraction. Elle est même revenue à plusieurs reprises, semblant s’approcher de moi à me frôler, puis s’éloignant brusquement, se coupant sans prévenir, au milieu d’une inflexion, puis reprenant à distance, ou tout près, m’emplissant les oreilles de cette plainte lugubre que je n’oublierai pas. Là je n’ai rien d’autre à faire que réfléchir…Ah, j’entends un murmure lointain… Ca se rapproche… A toute vitesse, le son commence à devenir assez fort. Cette… chose doit avoir un drôle de larynx pour produire un son pareil. Ca devient assourdissant, comme si j’étais dans les boyaux d’un monstre préhistorique, antédiluvien. Et ça se rapproche encore, c’est tout près… mais, qu’est-ce que… Oh non !

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Publié le par Spooky
Publié dans : #Fictions

Voici une courte nouvelle écrite cet été, et destinée à participer au concours organisé par la communauté de blogs Autres Mondes (dont je vous reparle bientôt). Il y aurait sans doute beaucoup de choses à dire sur ce texte, mais je vais vous livrer quelques clés de lecture.

 

- Lorsque le thème du concours, "Terre des dragons" a été dévoilé, je n'avais aucune idée. Et puis un jour sur facebook quelqu'un a partagé un outil de création de titre. La cave des mutilés est sorti. Ce titre m'a permis de commencer à réfléchir à mon texte.

- Au départ mon texte était bien plus long. Mais peu de temps avant la date à laquelle je prévoyais de rendre ma copie je me suis rendu compte que cela devait être limité à 3500 caractères. Du coup la structure de ce que j'avais écrit ne tenait plus, et j'ai dû tronquer mon papier.

- Tellement tronquer que la fin vous semblera bizarre, puisque le récit s'achève en plein milieu d'une phrase. Ce n'est pas une erreur, c'est bien parce que le récit s'arrête là. Définitivement. Si vous partez du fait que nous sommes dans la tête du personnage principal, vous le comprendrez peut-être.

- J'ai parlé de cette nouvelle avec une amie scénariste, à un moment où j'étais "bloqué" (avant que je me rende compte de cette limite de 3500 caractères, en fait) ; elle m'a sortie plusieurs pistes narratives, qui pourraient, si j'arrive à les coucher sur le papier, donner lieu à un récit bien plus ambitieux. J'espère pouvoir vous faire lire ça un jour, et ainsi rendre hommage à l'imagination fertile de cette amie. Vous voulez savoir qui c'est ? Indice : elle est rousse.

 

Et maintenant, voici cette nouvelle, qui n'a pas remporté le concours, qui est ratée, mais que j'assume complètement. Bonne lecture !

 

Spooky.

 

 

La cave des mutilés

 

Julien et Stéphane venaient juste d’emménager dans la vieille bicoque. Une super occasion, car le propriétaire en proposait un prix dérisoire, et ne semblait pas trop regardant sur l’orientation sexuelle de ses acheteurs, chose rare dans ce coin de Bretagne où ils avaient dû affronter pas mal de frondes anti-homosexuels.

 

Au bout d’une semaine, ils descendirent à la cave, qu’ils n’avaient que peu explorée jusqu’à présent. Celle-ci était encombrée de vieilleries en tous genres. Ils furent par exemple amusés de trouver un poste de TSF, ou encore ce qui ressemblait à une collection de drapeaux bretons. Au bout d’un moment, ayant un peu déblayé, ils dégagèrent une ouverture dans le fond de la pièce voûtée. Une porte en bois, de petite taille, fermée par un cadenas qu’une simple traction réussit à faire céder. Un couloir obscur s’ouvrit devant eux, avec une odeur assez nauséabonde qui s’évapora en un instant. Julien remonta chercher une lampe-torche et tous deux partirent à l’exploration.

 

Le boyau s’élargissait au bout de quelques mètres, et les deux jeunes gens débouchèrent dans une vaste salle, dont ils ne pouvaient voir les parois. Ils se rappelèrent que leur logis était accolé à une falaise haute d’une cinquantaine de mètres. Mais leur plus grande surprise se trouvait en contrebas. En effet le sol de la grotte était jonché d’ossements gigantesques. Se rapprochant, ils purent évaluer la taille des créatures, entre deux et quinze mètres pour la plupart, queue comprise.  Les animaux avaient une tête énorme, une longue queue mais aussi des excroissances sur le dos, comme des… ailes.  Mais le plus surprenant était le sort réservé à ces excroissances. Elles étaient toutes coupées, car les ossements qui les prolongeaient se trouvaient à terre. Et les uns comme les autres étaient coupés, et de façon nette. Visiblement on avait sciemment mutilés ces animaux étranges… Pourquoi ?

 

Juste au moment où ils se posaient la question, le sol se mit à trembler violemment. Tous deux perdirent l’équilibre, et Julien entendit son compagnon gémir lorsqu’il heurta l’un des énormes squelettes. Quant à lui, il fut projeté dans un recoin obscur de la grotte, et des grosses pierres se mirent à dégringoler sur lui. Bien sûr la torche avait été perdue, et vite éteinte par la chute d’une pierre. Une autre lui écrasa littéralement la jambe. Le tumulte ne dura que quelques secondes, mais cela lui sembla des heures, avec sa douleur qui menaçait à tout moment de le faire sombrer dans l’inconscience. Lorsque le calme fut revenu, Julien appela son compagnon. Aucune réponse ne lui parvint. Il essaya de se rappeler où Stéphane se trouvait avant le tremblement de terre, et tenta de le rejoindre en rampant. Sa jambe n’était que douleur. Après plusieurs minutes de tâtonnements, entrecoupés de halètements et d’appels de moins en moins assurés, il finit par retrouver le corps de son compagnon. Un projectile avait eu raison de sa tête. Au bout d’un moment, surmontant son chagrin, il décida de sortir de ce caveau. Mais ce fut peine perdue. Il se vidait de son sang par la jambe, et malgré le garrot qu’il avait réussi à faire avec sa chemise, ses forces déclinaient rapidement. Et il ne trouvait aucune issue, le boyau par lequel Stéphane et lui étaient arrivés avait dû être bouché. Il se sentit envahi par le désespoir. Il allait mourir à son tour, mutilé, comme son compagnon, comme les dragons qui l’entouraient.

 

Mais soudain il entendit un rugissement… Une lueur aveuglante… Puis tout devint

 

 

 

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Publié le par Spooky
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Ce texte a été écrit il y a cinq ans, dans des circonstances qu'il détaille lui-même. Symboliquement il représente une part de mon inspiration, et c'est vrai q'uil n'est pas facile de parler de la façon dont on crée. Il existe un autre texte, plus "gai" dirons-nous, que je republierai sans doute un jour.

 
Ce n’était pas un rêve. Mais un putain de cauchemar. Du style qui vous gâche la nuit. Qui vous réveille en sursaut, en sueur, et en proie à une terreur sans nom. Et qui vous hante, peut-être toute votre vie.

 

Des cadavres qui parlent. Qui vous montrent leurs membres coupés, les orbites vides de leurs yeux. Des squelettes qui marchent, comme dans certains films fantastiques. Mais contrairement à ces divertissements, ces semi-morts n’ont pas d’intention belliqueuse ou maléfique. Leurs visages, quand il en reste, ne reflètent qu’une infinie tristesse. Un dégoût sans nom, une lassitude profonde. Et la mort. Ils vous parlent, mais vous ne comprenez rien. C’est une langue que vous n’avez pas apprise à l’école, mais une langue bien réelle, bien vivante, elle. Pas du Sumérien inférieur ou un quelconque dialecte protohistorique.

Vous ne savez pas ce que vous faites là. Mais vous comprenez assez vite où vous êtes. Des baraquements délabrés, des corps étiques, des barrières en fil de fer barbelé. En vous concentrant, vous finissez par comprendre : vous êtes dans un camp de la mort, entourés par des prisonniers allemands –ou d’autres nationalités. En vous concentrant, vous finissez par comprendre ce que vous disent ces pauvres hères qui n’ont plus que la peau –parfois moins- sur les os. Ils vous parlent de leur malheur, de la faim qui les tenaille, des maladies qui courent… Vous essayez de les calmer, de leur dire qu’on vient les libérer… Mais leurs visages ne reflètent rien à cette évocation. Comme si cela n’avait aucun sens. Comme s’ils ne seraient jamais libérés. Vous vous demandez alors à quelle époque vous êtes.

Vous n’avez pas voyagé dans le temps. Seulement dans l’espace. Nous sommes en 2005, et vous êtes au milieu de dizaines de prisonniers dans un camp de la mort en Allemagne ! Vous ne voulez pas y croire, les camps ont été libérés en 1945 ou 46, pour la plupart ! Vous comprenez alors que ces gens sont restés là tout ce temps, ne sachant pas où aller, pensant que peut-être que le monde n’existe plus tout autour d’eux, leur esprit tellement détruit qu'ils ont perdu toute raison… Vous leur affirmez qu’au contraire, le monde a évolué, pas forcément en bien, mais que les responsables de leur situation ont été châtiés, et que le monde n’oubliera jamais. Mais vous êtes bien maladroit, et ne semblez pas très persuasif. Vous demandez alors si tous les survivants de ce camp y sont restés… L’un d’entre eux, dont vous ne saisissez pas le nom, a pu s’échapper quelques années auparavant.

 

Saut dans le temps. Vous rencontrez ledit rescapé, dans une ruelle sombre, sous une pluie battante et glacée. C’est un colosse, dont le corps et le visage sont entièrement couverts de vêtements amples. Sa tête se cache sous une capuche de survêtement épais. La pluie qui dégouline ne semble pas l’affecter. Il ne veut pas rentrer à l’abri, même dans un café, car il ne veut pas se mêler aux hommes. Pourtant vous apprenez que cet homme essaie de rendre le monde meilleur, en travaillant comme éducateur de rue. Etrange paradoxe. Tandis qu’il parle, la seule partie de son anatomie que vous pouvez distinguer est sa bouche. Des lèvres épaisses, sombres, qui s’ouvrent sur une dentition étrange, comme taillée en pointe. Certaines dents semblent par ailleurs manquantes. Votre interlocuteur est de couleur noire, vous en avez la certitude. Vous ne comprenez pas son attitude, et tentez d’en discuter. Mais l’homme refuse de transiger, et d’un coup, vous vous éloignez de la ruelle, comme si quelqu’un vous tirait en arrière, violemment… Au fil de l’éloignement, votre « ami » s’entoure d’un halo de flou, puis la ruelle, puis tout ce que vous voyez.

 

 

 

Et vous vous réveillez. Violemment. Tout va bien, vous êtes dans votre chambre, votre compagne dort paisiblement à côté de vous. Le souvenir de votre cauchemar est très présent dans votre esprit. Une certitude se fait jour chez vous. C’est que vous devez écrire l’histoire que votre esprit (conscience ? culture générale ?) vous a chuchoté pendant votre sommeil. Comme souvent, vous craignez de perdre le fil et la matière si vous attendez trop avant de la coucher sur le papier.

Peut-être une demie-heure plus tard, vous vous présentez devant votre papier, un bic à la main. Vous ne savez pas trop comment attaquer l’histoire. Sous forme de nouvelle, de court roman, d’article de presse ? Vous vous rendez compte que dans votre intervalle, votre esprit n’a cessé d’échafauder de l’enrobage. L’enrobage, un terme que vous avez déterminé tout seul pour désigner tout ce qui entoure, habille, l’idée centrale de votre récit. Vous n’allez pas aborder cette histoire sous l’angle d’un récit fantastique, comme vous le faites si souvent ; non, c’est une histoire qui pourrait être vraie, même si elle est d’une laideur sans nom. Vous allez donc essayer de la rendre réaliste, crue peut-être, parce que ceux que vous avez rencontrés dans votre cauchemar l’ont vécue comme telle. Vous vous mettez donc dans la peau d’un journaliste allemand, qui découvre ce camp presque par hasard, et qui n’ose, sa vie durant, en parler, tellement le poids de l’horreur est lourd à porter. Peut-être ne réussirez-vous pas à terminer cette histoire, comme tant d’autres. Mais au moins aurez-vous réussi à exorciser ce petit démon qui, à votre réveil, vous tourmentait pour que vous racontiez.

 

Spooky.

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Publié le par Spooky
Publié dans : #Fictions

  Note préliminaire : ceux qui suivent régulièrement ce blog ont peut-être déjà lu ces lignes, puisqu'elles ont été écrites pour et publiées au sein du webzine Autres-Mondes. Les autres, sachez simplement qu'il s'agissait d'un texte à contrainte, avec un thème de départ, les allergies, et un temps réduit pour écrire la nouvelle, environ deux mois. Enfin, rendons à césar ce qui est à César, Alice Mazuay a participé à la relecture du texte, et cet échange a permis d'en faire une version un peu plus dynamique que le texte de départ. Bonne lecture donc.

 

 

Saloperie d’allergie…


D'aussi loin qu’il se souvienne, Jeff avait été allergique au soleil. Oh, rien de bien méchant, mais suffisamment pour devoir éviter les expositions prolongées en plein été, les sorties à la plage avec les copains, sous peine de voir sa peau se recouvrir assez vite de milliers de petits boutons rouges, et de démangeaisons irrépressibles. Il en avait fait la cruelle expérience à l’adolescence, quand il avait voulu faire son rebelle, envoyer au diable les conseils de sa mère et voulu passer un week-end sur la plage, espérant bien avoir des nuits courtes avec des jeunes filles en fleur. Les nuits avaient bel et bien été réduites, mais pour des raisons médicales… Quant aux jeunes filles en fleur, si certaines avaient joué les dégoûtées, toutes s’étaient détournées de lui.


Ces souvenirs de jeunesse étaient loin de son esprit à présent. Il avait un problème plus urgent à régler. Se débarrasser des putains de vampires qu’il avait dérangés sans le vouloir lors de sa promenade nocturne. En sortant du boulot il avait accepté l’invitation au pub avec ses collègues. La soirée s’était un peu prolongée, et il avait prêté une oreille attentive aux vagues à l’âme de l’une d’entre eux. Il l’avait raccompagnée, espérant vaguement une petite aventure, mais peine perdue, elle avait suffisamment éclusé pour ne pas l’inviter à monter pour la suite. Un bisou sur la joue, un « j’ai passé une très bonne soirée, à bientôt » avaient eu raison de ses espoirs. Comme la nuit était douce il avait décidé de rentrer chez lui, et c’est une aventure d’un tout autre genre qui s’était présentée à lui.


Sous un porche il faillit renverser une jeune femme qui courait à perdre haleine. Le temps de se relever, elle avait disparu, mais son poursuivant manqua à son tour le faire tomber. Par réflexe, Jeff lui avait fait un croc en jambe, et le prédateur s’était étalé de façon comique sur le trottoir. Furieux, il s’était relevé et avait jeté un regard lourd de sous-entendus vers Jeff. Un rayon de lune avait alors éclairé sa face : très blanche, avec des yeux rouges exorbités. L’étranger avait alors retroussé ses lèvres sur un sourire éloquent : deux énormes canines brisaient l’alignement de ses dents. Il poussa un feulement et plusieurs autres silhouettes inquiétantes sortirent de l’ombre sans faire le moindre bruit. Visiblement la proie avait changé de visage.

Se souvenant de ses cours du soir de karaté, Jeff décocha un violent coup de genou dans le tibia du vampire le plus proche. Celui-ci n’eut pas vraiment mal, mais ne s’attendait probablement pas à cette riposte puisque Jeff eut tout le loisir de s’élancer dans la même direction que la jeune fille qu’il avait peut-être sauvée. Ne prenant pas le temps de se retourner, il commença à réfléchir. S’agissait-il de véritables vampires ? Bien sûr, il avait lu quelques bouquins sur le sujet, enfin les plus connus : Dracula, les romans de Stephenie Meyer, ceux d’Anne Rice… pas forcément des chefs d’œuvre littéraires, mais pas non plus des bouses innommables. Mais que fallait-il faire lorsqu’on rencontrait des vampires ? Ou du moins des gens qui en ont l’air ? Ne trouvant pas vraiment de réponse satisfaisante, il se retourna une première fois. Les prédateurs avaient gagné du terrain. Il lui sembla compter au moins cinq silhouettes furtives derrière lui, à une trentaine de mètres, et dont la vitesse semblait s’accroître.

 

Il choisit de couper cette dynamique en s’engageant dans une ruelle latérale. En tendant les bras, il pouvait toucher les murs de chaque côté. Il évita de peu une poubelle, mais fit en sorte qu’elle tombe par terre et encombre vraiment le passage. Il était temps, car à peine s’était-il remis à courir qu’un des vampires pointa son nez et ses yeux rouges au coin de la ruelle. Il ne put réprimer un rictus de satisfaction lorsqu’il entendit les bruits métalliques qui suivirent, la chute de plusieurs corps et les jurons consécutifs. Un nouveau coup d’œil en arrière et il vit un amas de personnes essayant difficilement de se relever et… d’autres sur les murs à côté !

Bon sang, ils couraient sur les murs !


Jeff se reconcentra sur sa course, et reprit un passage voûté sur sa gauche. Celui-ci sentait le moisi et l’urine croupie. Au bout de quelques pas il glissa d’ailleurs sur la rigole saumâtre qui courait au milieu du passage et s’étala de tout son long sur les pavés luisants. Il tenta de se relever mais sa cheville l’en empêcha en cédant. Elle était probablement foulée. Il ne put réprimer une frappe du poing sur le sol. De rage, de frustration, il s’endolorit bien évidemment la main au passage. Puis la peur reprit le dessus, car il entendait les bruits de course de ses poursuivants. Il ne pourrait plus les distancer avec un pied blessé. Il se mit donc à chercher autour de lui une cachette, une porte ou une arme potentielle, n’importe quoi qui lui permettrait d’entretenir l’espoir de leur échapper. Sous le passage voûté se trouvaient plusieurs devantures de magasins. L’une d’entre elles proclamait « l’avenir de l’énergie c’est le solaire ». Ce dernier mot sembla allumer une ampoule dans l’esprit de Jeff. Sans réfléchir plus avant, il essaya de se redresser, et sa cheville protesta. Il retomba sur les pavés mais se releva dans un énorme effort de volonté. Juste au moment où le premier de ses poursuivants débouchait dans le passage –par le haut-, il s’élança dans la vitrine, qui vola en milliers d’éclats. Il entendit un nouveau juron derrière lui. Certains des éclats avaient dû faire une rencontre charnue.


Il profita de ce répit et regarda autour de lui et vit un escalier en colimaçon vers le fond de la boutique, c'est-à-dire cinq ou six mètres devant lui. Priant pour que son pied ne se dérobe pas trop, il se redressa en se tenant au comptoir et prit un objet dessus pour le lancer sur le premier vampire, qui passait déjà sa tête dans l’encadrement de la fenêtre brisée en sifflant. Lui qui n’avait jamais été bon au basket, il atteint son but sans viser et le prédateur s’empala sur les éclats de verre encore debout. Ces derniers cédèrent sous son poids et il dégringola dans la boutique, sous les yeux méfiants de son premier compagnon, qui s’arrêta. Le prédateur ne bougeait plus. Jeff en profita pour s’élancer vers l’escalier, en se tenant aux meubles. Moitié à cloche-pied, moitié en rampant, il parvint à s’élever dans les degrés. Une main, dotée d’une grande force, parvint à saisir son talon. Comme il s’agissait de sa cheville blessée, il poussa un hurlement, et par réflexe se retourna pour décocher un coup de pied au visage de son adversaire. Il sentit et entendit un craquement, et celui-ci lâcha prise pour s’affaler sur les premières marches. Levant les yeux, Jeff se rendit compte qu’il ne lui faudrait plus perdre de temps : au moins trois créatures s’apprêtaient à entrer dans le magasin. Dans la pénombre il distinguait des taches rouges dans des masses noires.


Il se retourna pour se propulser dans l’escalier. Malgré son étroitesse et sa forme tournante, il n’était pas très long, et le jeune homme déboucha au premier étage, très sombre. Il y avait une seule fenêtre sur sa gauche, occultée par un épais rideau. Il se leva à nouveau, serrant les dents face à la douleur irradiant de son pied, et tâtonna le mur à côté de lui. Il trouva l’interrupteur et appuya instantanément dessus. La lumière crue l’aveugla, mais il en profita pour s’élancer devant lui, tandis que des bruits de pas montant les marches se faisaient entendre. Sa cheville se rappela à son bon souvenir et se déroba complètement. Il s’affala sur un appareillage un peu étrange. Une sorte de grande table bleutée, divisée en rectangles très réguliers, et qui était branchée à la prise de terre sur le côté. En quelques secondes, il fit l’association avec la spécialité de la boutique : c’étaient des panneaux solaires !!


Juste à ce moment le premier de ses poursuivants déboucha en haut de l’escalier. Voyant Jeff chancelant, dans une pièce sans issue, il arbora un sourire carnassier, exhibant deux magnifiques canines dont gouttait un peu de bave. Probablement pour mieux savourer son triomphe prochain, il s’écarta de l’escalier et attendit l’arrivée de ses deux camarades. Aucun mot ne fut échangé, mais les rires qui s’échappaient de leurs gorges n’en étaient pas moins clairs : ils allaient le transformer en casse-croûte. Jeff n’en menait pas large. Cependant il resta derrière la table de panneaux solaires, attendant que ses prédateurs viennent l’y chercher. Au bout de quelques secondes les trois congénères se décidèrent, et se mirent à grimper sur la table, la jugeant suffisamment solide pour supporter leur poids. Comme elle faisait cinq à six mètres de large, il leur faudrait quelques secondes pour l’attraper. De plus ils semblaient prendre du plaisir à retarder encore un peu l’inévitable.


Jeff attendit qu’ils fussent tous les trois sur les panneaux et tendit le bras sous la table, vers un bouton à côté duquel il était écrit « POWER ». C’était un gros pari, mais il n’avait aucune autre échappatoire. Et comme il l’espérait, les panneaux avaient emmagasiné des ondes solaires. Leur allumage était destiné en temps normal à la captation de ces derniers, mais il y avait aussi une déperdition, ou plutôt une restitution minime des rayons. Leurs visages à quelques centimètres des panneaux, les vampires les prirent de plein fouet. Il n’y eut aucune lueur particulière, juste un petit bourdonnement lorsque les cellules se mirent en marche. Les créatures de cauchemar ne s’en rendirent pas compte, mais Jeff si, qui contemplait, bouche bée, leurs faces diaboliques. Leur peau commença à se recroqueviller sur leurs mentons, leurs joues, révélant leur exceptionnelle dentition. Ce n’est que lorsque la brûlure atteignit leurs nez que les créatures se mirent à crier, à siffler douloureusement. Deux d’entre elles se prirent la tête dans les mains, lesquelles se mirent instantanément à bouillir. Le troisième réagit de façon plus intelligente et roula hors de la table, sur le côté. Ses deux compagnons, dont le cerveau était littéralement en train de griller, se couchèrent sur la table, et ne bougèrent plus au bout de quelques secondes de contorsions progressivement affaiblies, leurs corps continuant à se consumer. La pièce fut envahie d’une odeur âcre, étrangement familière. Ça sentait tout simplement le cochon grillé.


Jeff reporta son attention sur le troisième vampire. Il se tordait de douleur à côté de la table, sifflant de manière abominable entre ses dents. Ce dernier leva les yeux, enfin son œil valide, l’autre ayant été brûlé, vers son tortionnaire, et le fusilla du regard, exhibant à nouveau ses ratiches surdéveloppées en manière de menace. Il semblait retrouver progressivement ses esprits, et nul doute qu’il redeviendrait dangereux dans quelques instants. Titubant sur son unique jambe valide, Jeff empoigna alors un meuble haut et métallique qui supportait une fontaine à eau, et jugeant son poids assez conséquent, le fit basculer sur la tête du vampire. Celui-ci ne comprit que trop tard ce qui allait arriver, et n’eut pas le temps de se dérober ou de mettre ses bras en opposition. Il y eut un gros fracas, un craquement immonde, et le sifflement de l’abominable créature cessa brusquement. Jeff attendit quelques minutes pour être sûr qu’elle ne bougeait vraiment plus, et aussi pour reprendre un peu de forces après cette course effrénée. Lorsqu’il n’eut plus aucun doute, il contourna la table par l’autre côté – aucune envie de frôler le vampire - puis descendit avec précaution l’escalier. Il put constater dans la boutique que les deux premières créatures de la nuit avaient succombé à ses gestes de défense. Ce ne fut qu’au bout de quelques pas dans la rue adjacente au passage qu’il s’arrêta pour reprendre son souffle, à la lueur d’un réverbère. Il baissa les yeux sur ses avant-bras, retroussa ses manches, et poussa un soupir de lassitude : toute la peau de ses membres supérieurs était envahie par des milliers de boutons rouges. Levant les mains, il put constater que son visage avait également réagi. Les panneaux solaires l’avaient affecté lui aussi.

Mais au final, il le supportait tout de même mieux que ses adversaires amateurs de sang frais.

 

Saloperie d’allergie…

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Publié le par Spooky
Publié dans : #Fictions

Il y a longtemps, dans une galaxie fort éloignée, j'écrivais régulièrement des nouvelles. Certaines allaient jusqu'au bout, d'autres pas. A une époque aussi je faisais des cauchemars, des trucs parfois incroyables, où je tombais sans fin, où je me retrouvais dans des endroits étranges... La nouvelle Absence est née de ces rêves et de ces envies d'écrire, combinant plusieurs épisodes oniriques un peu traumatisants pour moi. L'ami pierig, en 2006, a eu envie d'illustrer cette nouvelle, d'abord à l'occasion d'un concours de BD. Bien sûr, il s'agit d'une adaptation, et tous les éléments ne sont pas présents, mais pierig a su saisir et donner corps avec talent à mes pensées intangibles, à mes mots évanescents. Finalement cette petite BD n'a pas été présentée au concours, mais la BD existe bien, et j'ai toujours eu envie de la présenter sur ce blog, qui a atteint son petit rythme de croisière. Et puis qui sait, si nous avons des envies de prolonger cette collaboration, peut-être qu'un jour cette Absence sera-t-elle prolongée...

 

Bonne lecture.

 

Spooky.

 

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Publié le par Spooky
Publié dans : #Fictions

Mauvais détour


par Esther Hervy


Je frappai trois coups à l’aide du heurtoir contre la grosse porte de bois. La pluie battait avec force et malgré la marquise censée protéger l’entrée, je me retrouvai trempée. J’entendis des pas traînants dans le vestibule, puis une clef que l’on tournait et la porte s’ouvrit enfin. Une petite tête apparut alors entre le chambranle de la porte et la porte elle-même, retenue par une solide chaîne de sécurité.


- Oui ? Demanda la vieille dame sur un ton méfiant.
- Bonsoir… Je suis désolée de vous déranger mais je suis tombée en panne sur la route et la batterie de mon téléphone est déchargée… Est-ce que je pourrais…


Je n’avais même pas terminé ma phrase que la lourde porte se referma. Je restai bouche bée avec un léger sourire sur les lèvres. Décidément les français avaient le sens de l’hospitalité. Je rajustai ma capuche et m’apprêtai à affronter à nouveau la pluie lorsque j’entendis le cliquetis de la chaîne et la porte s’ouvrir.

- Vous pouvez téléphoner si vous le souhaitez, me dit la vieille dame en ouvrant la porte complètement.

- Eh bien, merci c’est gentil, dis-je en me dirigeant vers elle.
 

 

Je pénétrai dans le hall de la maison et retirai ma capuche. Elle me fit enlever mon blouson et le garda à la main.
- Suivez-moi, le téléphone est dans le salon.

Je suivis donc la dame. Nous traversâmes un couloir assez vétuste dont les murs en pierres étaient recouverts de tentures aux couleurs passées et de vieilles peintures. Des portraits pour la plupart, sans doute les vestiges d’une noble famille.

- D’où venez-vous ? Me questionna-t-elle. Vous avez un accent.
- De Londres. Je suis ici pour le travail.
- Nous n’ouvrons à personne en temps normal, et encore moins aux étrangers. Vous comprenez, Monsieur est très méfiant, il y a tellement de belles choses dans le manoir… Nous sommes obligés de faire preuve de prudence.
- Je comprends…, repris-je doucement.
- Les conditions ce soir sont assez exceptionnelles, nous ne pouvions vous laisser dehors avec un orage pareil.


Elle parlait d’un ton monocorde, sans aucun timbre ni variation dans la voix. Comme si elle récitait un texte qu’elle aurait maintes et maintes fois répétées. Je marchai derrière elle et l’observai. Elle était de petite taille et tellement maigre que je me demandai comment elle pouvait encore tenir debout. Sa jupe et son chemisier noirs ne devaient pas avoir vu la moindre lessive depuis longtemps, et ses cheveux gris attachés en une longue natte terne, ne faisaient que contribuer à l’aspect crasseux du personnage. Elle marchait lentement en faisant de petits pas, traînant les pieds au sol comme si un boulet attaché à ses jambes l’empêchait d’avancer.

- Nous y voici, me dit-elle en se retournant vers moi.


Je pénétrai dans une vaste pièce au fond de laquelle une grande cheminée en pierres trônait. Quelques grosses bûches brûlaient dans l’âtre, réchauffant un peu l’atmosphère sinistre qui se dégageait des lieux. La vieille dame déplaça une chaise qui se trouvait autour de la lourde table en chêne pour y suspendre mon blouson et le faire sécher devant le foyer.


- Attendez ici, je vais chercher Monsieur, me dit-elle sur un ton neutre.


Elle partit par une petite porte et je restai seule dans la salle à manger. Je jetai un œil autour de moi. Les murs étaient extrêmement chargés. Comme dans le couloir que nous avions traversé, de lourdes tentures sombres pendaient aux murs. Des portraits d’ancêtres enterrés depuis longtemps étaient mis à l’honneur, et sous chacun d’entre eux une petite plaque en laiton était scellée. Je m’approchai de l’un d’eux afin de nourrir ma curiosité. « Augustin de Courtelet – Comte de Villancy 1730-1796 ». C’était un homme corpulent, au teint blême avec de petits yeux rapprochés et un nez tout en longueur. Son regard était autoritaire et cruel. J’espérai avec amusement que le propriétaire des lieux ne lui ressemblerait pas. Je retournai près de la cheminée pour m’y réchauffer, n’osant trop observer de peur de me faire surprendre par mon hôte.

 

Le manoir était totalement silencieux. Seul le crépitement des bûches se consumant indiquait qu’il y avait âme qui vît en la demeure. Je promenai mon regard, toujours sur les portraits et en remarquai un au fond de la pièce, plus imposant que les autres. Il dominait la grosse table de toute sa splendeur. Un homme assis dans un grand fauteuil caressait la tête d’un chien assis à ses pieds. C’était un bel homme aux cheveux bruns et au port altier. Ses yeux noirs brillaient au milieu de son long visage au teint pâle. Son nez fin et droit et son menton volontaire ne faisaient qu’en souligner la noblesse.


J’entendis du bruit derrière la porte par laquelle la veille dame était sortie. Je me redressai instinctivement, joignant mes mains devant moi. La porte s’ouvrit et l’homme du tableau apparu devant moi. Il faisait beaucoup plus jeune que sur la peinture et moins sinistre. En revanche, une petite moustache avait poussée le long de sa lèvre supérieure. Il s’avança vers moi en me tendant la main.
- Comte Amaury de Courtelet, bienvenue au manoir de Villancy.


Je pris sa main dans la mienne, la serrai et me présentai.

- Katherine Warren, merci de votre accueil.

-
Madeleine m’a dit que vous étiez tombée en panne sur la grande route, n’est-ce pas ?

-
Oui tout à fait. Je voulais juste utiliser votre téléphone pour faire venir une dépanneuse, je ne vous embarrasserai pas longtemps.

-
Ah… Madeleine… Elle n’a plus toute sa tête vous savez, nous n’avons jamais eu le téléphone au manoir.

-
Ah… Dans ce cas, répondis-je un peu surprise, je vais devoir retourner à ma voiture.

- Retourner à votre voiture ? Mais vous n’y pensez pas ! Il fait un temps pas impossible dehors !

-
Ne vous embarrassez pas, il va bien y avoir une voiture qui va passer et m’emmener jusqu’au centre ville.

-
Vous êtes mon invitée ! Passez la nuit ici. Demain matin nous vous reconduirons chez un garagiste en centre ville.

- Je suis désolée Monsieur le Comte, c’est très aimable de votre part mais c’est une voiture de location et je ne…

-
Vous me vexeriez ! Et appelez-moi Amaury ! Je ne sais pas ce que cette vieille bique de Madeleine vous a raconté sur l’hospitalité de cette demeure, mais je peux vous garantir qu’elle l’habite. Et puis ce n’est pas si souvent que nous avons des visiteurs…

-
Eh bien…

-
Ttttt… Ttttt… Ttttt… ! Ne vous faites pas prier jeune fille.


Un peu embarrassée par son insistance et il faut bien l’avouer, n’ayant guère l’envie de remettre le nez dehors, j’acceptai finalement son invitation. Il installa deux gros fauteuils en face de la cheminée et nous fit servir du café brûlant par Madeleine. La vielle dame gardait un visage fermé et froid, visiblement contrariée par ma présence.
Nous nous installâmes donc bien confortablement dans l’épais velours rouge recouvrant le sofa. La chaleur du feu me pénétrant et me réchauffant avec délice, j’ingurgitai le café, tel un breuvage fortifiant. Pendant l’heure qui suivit, il me parla de lui et de l’histoire de sa famille. Les De Courtelet étaient installés dans la région depuis de nombreux siècles et le manoir avait toujours était occupé par l’un d’entre eux. C’était une riche famille, régnant sur ses terres et sur ses serfs comme les seigneurs de l’époque. Et puis, à la Révolution tout avait changé et ils n’avaient réussi qu’à conserver ce manoir et ses quelques terres qui l’entouraient. Depuis, la demeure se transmettait de père en fils. Amaury de Courtelet n’avait ni femme ni enfants et vivait du maigre héritage que ses parents lui avaient laissé à leurs morts. Il n’avait de Comte que le titre et les quelques trésors pendus à ses murs.
Mon hôte me conduisit dans ma chambre située au premier étage de la bâtisse. Madeleine s’y trouvait, déposant une couverture supplémentaire sur l’épais édredon bordeaux qui recouvrait le lit. Elle alluma deux bougies et en posa une sur chaque chevet. Elle passa devant nous sans même nous jeter un regard, traînant sa jambe lourdement derrière elle.


- Je suis absolument désolé pour le manque de confort certain dont vous disposerez mais l’électricité n’est pas établie jusque dans cette chambre. C’est une vieille demeure vous savez, et nous restaurons uniquement les pièces dont nous nous servons.

- Je n’y vois aucun problème, répondis-je, je suis épuisée par ma journée, je vais me coucher.

-
Je vous laisse prendre vos aises alors. Madeleine vous réveillera vers 7 heures. Elle vous servira un petit déjeuner dans le salon avant que vous ne nous quittiez.

-
C’est très gentil de votre part.

-
Bonne nuit Katherine.

-
Bonne nuit Monsieur le Comte.



Il ferma la porte derrière lui et je restai seule dans la pièce. Les faibles lueurs des bougies dansaient sur les murs qui autrefois avaient du être blancs. Je m’assis sur le lit et contemplai la fenêtre. La pluie battait les carreaux et le vent soufflait sa rage dans les arbres. Un frisson me parcourut l’échine. Je réalisai que je me retrouvais dans un vieux manoir délabré, perdu au beau milieu de la campagne française, sans aucun moyen de télécommunication moderne. La vieille Madeleine m’avait fait mauvaise impression. Elle aurait pu sortir tout droit d’un vieux film d’horreur des années 50. Je repensai à mon petit appartement londonien, perché en haut d’un immeuble moderne, là où la vie et la lumière régnaient en maître.
Je défis mes lacets et ôtai mes chaussures. Et c’est encore habillée que je me glissai dans le lit. La tête posée sur un oreiller qui sentait légèrement l’humidité, je plongeai lentement dans un sommeil agité.

Un bruit sourd me réveilla. La lune projetait sur les murs des ombres fines et sombres. Des gouttes d’eau dansaient le long des vitres au rythme des rafales de vent. Je me dressai dans mon lit et tendis l’oreille. Le manoir semblait calme et silencieux. Je pouvais seulement entendre le volet grincer sous les assauts du vent, et au loin, une chouette hululer dans la tempête. Je n’avais pas la moindre idée de l’heure qu’il pouvait être. J’avais l’impression d’avoir dormi assez longtemps. Je poussai les couvertures et posai mes pieds sur le parquet. Sous mes pas, celui-ci craqua bruyamment alors que je m’approchai de la fenêtre. Dehors, il n’y avait âme qui vive. Ma chambre donnait sur le côté du manoir et je pouvais apercevoir le jardin en contrebas. D’imposants chênes, très certainement plusieurs fois centenaires, se dressaient tels de majestueux colosses.


Soudain le même bruit qui avait provoqué mon réveil se fit entendre. Je sursautai et pivotai sur moi-même. On avait cogné sur le mur. Lentement, en essayant de faire le moins de bruit possible, je m’approchai de la cloison. Je posai mes mains sur celle-ci et y collai l’oreille. Un nouveau coup, celui-ci suivit d’un gémissement que je perçus distinctement me fit m’écarter du mur avec surprise. Des pas se firent entendre immédiatement dans le couloir, et je retournai aussi vite et discrètement que possible dans le lit. La porte de la chambre d’à côté s’ouvrit en grinçant et j’entendis une voix murmurer quelques paroles indescriptibles. Le parquet grinçait autant que le mien dans la pièce voisine, m’indiquant que quelqu’un marchait d’un pas précipité. Je remontai ma couverture jusqu’au visage, n’osant bouger d’un pouce dans ce lit qui n’avait rien d’accueillant. Je restai immobile, l’oreille aux aguets. Le calme semblait être revenu mais la personne n’avait pas quitté la pièce, du moins pas à ma connaissance, je n’avais pas entendu la porte grincer de nouveau.


Doucement je redescendis la couverture vers ma poitrine, qui se soulevait au rythme de mon cœur emballé. La voix que j’avais entendue semblait maintenant provenir du couloir. La porte claqua doucement et les pas s’éloignèrent, comme étouffés par l’épais tapis de laine ornant le sol. Je pouvais entendre des gémissements de l’autre côté de la cloison. Ils me semblaient féminins. Je redescendis à nouveau du lit et avançai à pas de loup vers la porte de bois. Je tendis l’oreille pour m’assurer que personne ne se trouvait de l’autre côté, et quand j’en fus assurée, j’ouvris la porte le plus lentement possible.


Il n’y avait personne dans le couloir. La faible lueur du rez-de-chaussée parvenant par l’escalier éclairait timidement les murs. J’avais peine à distinguer les vielles photographies qui y étaient accrochées, censées rendre hommage aux années d’or du manoir. J’entendais toujours les gémissements qui provenaient de la chambre. La porte était maintenant devant moi, je touchais la poignée de la main, hésitant à la tourner, peut-être par peur de découvrir quelque chose de déplaisant. Je la poussai finalement avec angoisse, et lorsqu’elle fut assez ouverte pour me permettre d’en distinguer l’intérieur je posai une main sur ma bouche pour ne pas pousser un cri d’effroi.

Les rayons de la lune entraient par la fenêtre et éclairaient d’une lumière blanche la pièce humide et froide. Sur un matelas sans drap était attachée une femme à moitié dévêtue.  Lorsqu’elle entendit la porte grincer, elle tourna la tête vers moi. Son regard empli de terreur témoignait des sévices qu’elles avaient certainement subis. En constatant que ses bourreaux ne se trouvaient pas dans l’encadrement de la porte, elle s’agita et émit des sons étouffés par le bandeau qui lui servait de bâillon. J’agitai les mains pour lui demander de s’apaiser tout en entrant dans la chambre et en me dirigeant vers elle. Je lui demandai de faire moins de bruit, paniquant à l’idée que quelqu’un pourrait l’entendre et venir. En m’approchant je constatai que son corps montrait des traces de bleus et des coupures. Ses jambes étaient tailladées et éraflées, ses bras et ses poignets meurtris par les liens, son visage bouffi par les larmes et son cou… Percé ? Que lui avait-on donc fait ? Et pourquoi ? Qui était donc cette femme retenue prisonnière dans cette sinistre demeure ? Et surtout, quel sort mes hôtes avaient prévu de me réserver ?

 

Je me jetai sur ses liens, essayant de les desserrer comme je pouvais, mais les cordes étaient épaisses et les nœuds bien faits. J’arrachai donc le bandeau de la bouche de la malheureuse, libérant ainsi sa respiration, rendant libres ses poumons. Je perçus un remerciement dans ses yeux, mais au moment ou j'allais lui parler pour la réconforter, je sentis dans mon cou des crocs s’enfoncer. Le hurlement de terreur de la jeune femme fut le dernier son que je perçus avant de m’écrouler. 




Mon esprit était enveloppé par un épais brouillard cotonneux. J’essayai d’ouvrir les yeux malgré le poids de mes paupières. Ma respiration était difficile et mon corps, engourdi par le froid. J’essayai de bouger une jambe, puis l’autre. Aucune ne répondait vraiment aux ordres de mon cerveau. J’avais l’impression d’être dans un demi-sommeil, comme si mes pensées, tentant d’émerger, se débattaient entre rêve et réalité. Mon corps était lourd et une fatigue immense m’envahissait. Je n’avais qu’une envie, me laisser gagner par le sommeil qui ne cessait de m’appeler.
Tant bien que mal je réussis tout de même à porter une main à mon cou, touchant du bout des doigts les deux trous laissés par les dents de ce qui m’avait mordu. Je ne l’avais ni entendu ni vu approcher, seules quelques effluves nauséabondes avaient chatouillé mes narines pendant une brève seconde. Où avais-je donc atterri ? Ces gens étaient-ils des psychopathes qui en séquestraient d’autres tels que l’on pouvait en voir dans les films ? Ce qui était certain était que je devais absolument partir d’ici, peu importait par quel moyen et peu importait la faiblesse physique que je ressentais. Le souvenir de la jeune femme sur son lit ne laissait aucun doute du sort qui m’était réservé, et il ne fallait pas que je traîne ici si je voulais avoir une chance d’y échapper.

La tête et les membres lourds, j’essayai donc de me redresser sur le matelas, tirant sur mes avant-bras et accrochant les doigts sur la mince couverture de laine. Finalement assise sur mon lit, je fermai les yeux et m’obligeai à contrôler ma respiration. Lorsque que je me sentais  redevenue assez calme je les rouvris. Ce petit exercice respiratoire avait fait du bien à mon esprit qui avait retrouvé une partie de sa clarté.


J’allai descendre de mon lit quand j’aperçus une forme blanche au fond de la pièce devant moi. La femme que j’avais vue attachée sur le lit dans la chambre d’à côté se tenait debout, contre le mur du fond. Elle était d’une pâleur incroyable, ses longs cheveux bruns tombant en cascade de chaque côté de ses épaules, cachant sa voluptueuse poitrine.
J’eus comme réflexe de me précipiter vers elle pour la secourir. La prenant par les épaules je m’efforçais de trouver une once de vie dans son regard qui semblait perdu au fond de ses yeux.
- Tu es là ? Demandai-je. Me rendant compte que je ne connaissais pas son nom. Réponds-moi, poursuivais-je. On va se sortir de là, ne t’en fais pas, tu n’es plus seule maintenant.
Je voulus la faire avancer vers le lit pour l’asseoir mais elle semblait inerte, aussi bien de corps comme d’esprit.
- Comment tu t’appelles ? Dis-moi quelque chose. Viens avec moi.


Mais la jeune femme ne semblait pas m’entendre, ni même me voir. C’était comme si son esprit mort était resté coincé dans ce corps inerte, mais vivant.

Une seconde je croisai son regard, je cru y percevoir un semblant de vie. Panique et peur le dominaient.

Puis d’un coup, elle me porta un terrible coup au visage qui me précipita sur le lit avec une violence inouïe. Je restai sonnée et ne pus empêcher la jeune femme qui se jeta sur moi de me plaquer avec une force surhumaine au matelas. Son regard d’un bleu profond, presque phosphorescent illuminait la chambre d’un halo surnaturel. Elle ouvrit la bouche et je découvris ses crocs. Des canines longues et fines qui apparurent aussi vite que deux crans d’arrêt. Elle planta ceux-ci dans mon cou et une douleur intense envahit mon corps. Elle me vidait de mon sang, buvant avec avidité et m’enlevant la vie qui s’écoulait dans mes veines. Je sentais toute force me quitter. Mon corps s’affaiblissait de seconde en seconde.Elle s’arrêta finalement et se redressa au-dessus de moi. Elle ne me tenait plus mais j’étais tellement épuisée que je ne pouvais me dégager, ni même bouger.


C’est alors qu’elle mordit son poignet. Du sang s’écoula doucement en filet le long de son bras. Un sang épais et noir.

- Bois si tu veux vivre, me dit-elle doucement en collant son poignet contre ma bouche.


Je détournai avec faiblesse le visage, essayant de me dégager sans grande efficacité de ce monstre. Elle me tint la tête et m’obligea à faire ce qu’elle me demandait. Elle appuyait sur sa peau pour en faire sortir le sang. Un liquide tiède et épais envahit mon palais. Je résistai un instant puis renonçai. Je voulais vivre.

Le goût de la vie envahit alors mon palais. Quelques secondes plus tard, j’avalais avidement le sang du vampire, retenant avec force son poignet contre ma bouche.

- J’espère être à ton goût, entendis-je, alors que je sombrais dans un profond sommeil.

 


Je n’eus pas la force de répondre, mais mon esprit acquiesça. Une sensation nouvelle venait de se faire ressentir, une sensation agréable, mais quelque peu angoissante.


 

 

On frappa au rez-de-chaussée. Dehors le vent rugissait et la pluie battait le perron. On pouvait entendre le tonnerre gronder au loin.

J’ouvris lentement et découvris un jeune homme trempé et grelottant sur le pas de la porte du manoir. Un large sourire envahit mon visage. Je m’écartai en libérant le passage, l’invitant à se mettre à l’abri.

Sans m’adresser à lui, j’annonçai que l’on avait un nouvel invité.

Louise descendait au bout du couloir les escaliers, prête à accueillir notre nouvel hôte. Ses cheveux bruns encadrant de leurs belles boucles brillantes son visage au teint parfait.

Une odeur merveilleuse envahit la pièce. L’odeur de la vie qui coulait dans ses veines, de son  cœur battant et de sa carotide gorgée de nourriture fraiche.

C’est avec un sourire entendu que nous sortîmes nos crocs pour nous précipiter sur notre victime qui n’eut même pas le temps de se rendre compte ce qui lui arrivait.


Nous aurions certainement droit à une remontrance de notre père, encore une fois. Mais ma sœur et moi étions de jeunes vampires plein de fougue et avions encore besoin d’apprendre les règles destinées à préserver notre espèce. Promis, nous laisserons papa s’occuper du prochain dans les règles de l’art. Un être humain ne doit pas faire qu’un seul et unique repas. Il est notre garde-manger.

Quoi qu’il en soit, toute la maisonnée eut droit ce soir-là à un merveilleux festin.

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Fictions



La Médiathèque municipale, sise à MONTROUGE (Hauts-de-Seine), 32 rue Gabriel Péri, organise un concours gratuit sans obligation d'achat intitulé "CONCOURS DE LA NOUVELLE FANTASTIQUE". Pour plus de précisions, voici le règlement.

Je vais peut-être y participer, et vous ?

Spooky.

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Publié le par Ansible
Publié dans : #Fictions
Voici l'une de mes humbles contributions à la science-fiction, conçue comme un hommage au génie de ses auteurs. Le Chant de la Terre est un petit texte écrit le 29 mars 1998. Il comprend 87 références à des titres d'ouvrages ou de films de SF. Saurez-vous les retrouver ?




En 1984 la Guerre des Mondes est déclarée. "Mars Attacks !" déclara le Dr Frankenstein, tout en déclarant le Monde perdu. Pour cette planète des singes, c'est le dernier rivage que l'Anneau-Monde. Les Femmes de Stepford s'en prennent au dieu Rama lui-même, le maître du Haut Château à la Rose, pour ce qu'il a fait au bébé de Rosemary.

En 2001, c'est "Panique année zéro". le Nuage noir, venu d'Hypérion, fait monter la tempéraure à Fahrenheit 451. L'homme tombé du ciel s'avère être un créateur d'étoiles, un Seigneur de lumière en terre étrangère. Face au silence de la terre, il commet les pires xénocides sur cette planète à gogos.

A la poursuite des Slans, les plus qu'humains franchissent la grande porte et asistent au vol du dragon du monde vert, Ubik. Puis ils entrent dans la Forêt de Cristal, traversée par le Fleuve de l'Eternité, refuge des enfants d'Icare. Serait-ce le meilleur des mondes ? Encore un peu de verdure et, à l'aube des ténèbres, ils arrivent sur une tere brûlée où les villes nomades errent les dunes. Quel voyage fantastique !

Vient la fin de l'éternité. On entend le "crash !" des ailes de la nuit dans les abysses du canal Ophite. Le neuromancien, un homme dans le labyrinthe, entonna alors un cantique pour Leibowitz et interrogea son cristal qui songe.

Demain les chiens seront la seule faune de l'espace, car cette chère Humanité est plus noire que vous ne pensez.

Le vagabond Jack Barron, Elric le Nécromancien et le Dr Adder partent affronter l'armée des 12 singes près de Shambleau, capitale du monde des Â. Les maîtres chanteurs, n'écoutant que leur oreille interne, partent en quête de l'oiseau blanc de la fraternité, celui-là même qui doit pondre l'Oeuf des Ténèbres des neuf Princes d'Ambre.

En 3001, c'est l'odyssée finale. Au carrefour des Etoiles, le troupeau aveugle des Triffides emprunte les voies d'Anubis enchâssées dans un temps incertain pour rejoindre Babel 17, la Porte des Etoiles. Pour cette croisière sans escale, ils contemplent un paysage du temps ravagé. A Pavane, ils rencontrent l'homme démoli, Tschaï, qui livre une guerre éternelle avec l'épée de Rhiannon contre les envahisseurs de la planète interdite, Barbarella.

Leur destination n'est plus la lune, mais le village des damnés, investi par les profanateurs de sépulture. Ce fut l'ère des gladiateurs. Il y eut un météore dans la nuit, couleur orange mécanique, et la planète redevint sauvage.

Mars 1998.

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