Pas facile en ce moment d'écrire une chronique sur quelque chose de récent, entre journées très intenses, lectures insatisfaisantes (et qui parfois ne vont pas à leur terme) et sorties réduites à néant ou presque. Du coup comme vous l'avez vu, je réédite des papiers ayant plus de trois ans, ou c'est l'excellent GiZeus qui prend le relais.
J'ai presque dû me faire violence pour accepter l'invitation d'un blogueur influent à aller voir ce film. Non par manque d'envie, mais seulement parce que, comme je le disais, mon temps de loisirs est très limité. De même l'écriture de ce billet ne s'est pas faite en une fois, et n'a pu être commencée qu'une semaine après le visionnage du film. Mais comme celui-ci ne sort que le 30 juin, le timing est finalement bon si vous souhaitez le voir à sa sortie. Mais trêve de racontars sur ma vie, passons à ma chronique.
Splice (dont la traduction littérale en français est "épissure", un terme de matelot qui désigne la jonction de deux bouts de corde) est donc le nouveau film de Vincenzo Natali, encensé pour son premier long-métrage, Cube. On l'avait un peu perdu de vue, mais pourtant il n'a pas arrêté de tourner depuis le complexe mais insatisfaisant Cypher, avec Jeremy Northam et Lucy Liu. Il y eut aussi l'intrigant Nothing, où un couple se retrouve projeté dans un autre monde. Natali est aussi un adaptateur de classiques de la SF : après IGH, d'après le roman éponyme de JG Ballard (produit en 2008 mais non sorti en France), il s'attaquera bientôt à Neuromancien, le roman de William Gibson, plus ou moins considéré comme le fondateur du mouvement cyberpunk. Mais pour l'heure c'est donc Splice qui nous intéresse.
Splice qui nous présente Clive et Elsa, des superstars de la science puisqu'il ont réussi à combiner les ADN de différents animaux pour obtenir des hybrides capables de guérir de nombreuses maladies. Mais bien sûr le laboratoire pharmaceutique qui leur sert de mécène refuse de continuer à les soutenir juste au moment où leurs brevets deviennent économiquement viables. Ils décident de franchir -en catimini- le pas du tabou : combiner de l'ADN animal avec celui d'un humain. Une étrange créature va bientôt apparaître, ressemblant à un lapin écorché sur des pattes de sauterelle. D'abord craintive, puis agressive, la créature se laissera finalement plus ou moins apprivoiser, et va grandir à toute allure. Au bout de quelques semaines elle a une taille et une allure presque humaines. Surnommée Dren, celle-ci va finir par expérimenter certains comportements humains, et notamment l'amour, faisant basculer le film dans un ménage à trois un peu étrange, avant de partir sur les terrains de l'horreur.
Splice aborde différents thèmes. En premier lieu la manipulation génétique, et comme je l'indique, celle qui concerne l'ADN humain. Un sujet relativement bien traité, même si j'aurais aimé qu'il y eût plus de désaccords, de doutes au sein du couple de scientifiques au moment de basculer dans cette aventure interdite. Ensuite celui de la maternité. Elsa ne souhaite pas sentir un enfant grandir dans son ventre, mais lorsque Dren apparaît et fait preuve d'intelligence, son instinct maternel s'éveille et elle finit par l'élever exactement comme un enfant normal, tandis que son compagnon est plus en retrait. Une peinture un peu caricaturale de la famille au passage, mais bon. Le dernier thème traité en filigrane est celui de l'inceste, puisqu'épiant les ébats de ses parents adoptifs, Dren va chercher à séduire Clive. Situation oedipienne typique. Une richesse thématique certaine, mais que Natali, hélas, effleure seulement, puisqu'on passe en 1h47 du biothriller à la bluette pour finir sur un film de monstre. Il en résulte une posture un peu maladroite, car on ne sait pas si le second ou troisième degré présent est réellement voulu ou si le réalisateur se prend au sérieux. Par exemple le laboratoire où oeuvrent nos tripatouilleurs de chromosomes s'appelle N.E.R.D, ce qui prête à sourire puisque c'est précisément ce qu'ils sont, des personnes solitaires et intelligentes, à la fois socialement handicapées (mais pas toujours isolées car un nerd peut conserver une vie sociale) et passionnée par des sujets liés à la science et aux techniques (merci Wikipedia pour la définition de ce terme d'origine anglaise entré dans la culture populaire).
Mais cet esprit nerd n'est plus vraiment utilisé par la suite, le ton étant le plus souvent assez sérieux. La salle riait pourtant à gorge déployée pendant des scènes pas forcément drôles... Un élément appréciable est la façon dont le supposé "monstre" dévoile son humanité, en opposition aux deux "vrais" humains qui eux peuvent trouver des ressources de cruauté insoupçonnées... Un motif de choix, que l'on peut trouver ailleurs, mais rarement bien utilisé comme dans Splice.
Sur le plan artistique, pas grand-chose à dire, Natali pose bien ses cadrages, sa lumière, et panache bien les moments de calme et de "précipitation", mêmes si ces derniers sont quand même concentrés dans le dernier quart du métrage. Le casting est de qualité, car plutôt que d'avoir des gravures de mode pour incarner ces scientifiques asociaux, nous avons deux excellents acteurs, comme Adrien Brody, vu récemment dans King Kong ou the Jacket, et Sarah Polley, vue dans L'Armée des morts de Zack Snyder. Deux acteurs au physique banal, presque passe-partout. Par contre le rôle de Dren adulte est tenu par la française Delphine Chanéac, qui n'a joué presque que dans des séries TV. Elle est surprenante, sensuelle, lunaire, énigmatique, inquiétante et surtout androgyne à souhait... C'est peut-être elle la vraie surprise du film. Par contre Brody a une coiffure absolument immonde dans ce film, et ça, ce n'est pas vraiment une révélation... Celui-ci est d'ailleurs presque un huis-clos, puisqu'il ne compte que 8 rôles parlants, l'essentiel de l'intrigue se passant entre les trois personnages principaux.
Au final je n'ai pas détesté ma séance de cinéma, j'ai vu un film relativement agréable à suivre, correctement filmé et interptété, mais qui malheureusement a le cul entre deux chaises et a bien du mal à se relever. J'espère que l'on retrouvera le Natali inventif de Cube dans ses prochaines productions. Attention cependant, certaines scènes sont à la limite du malsain. A prendre avec des pincettes donc.
Spooky.