Mister Bliss est l'une des oeuvres les moins connues de John Ronald Reuel Tolkien ; à côté de son cycle d'Arda, déjà largement évoqué sur le présent blog, et les Lettres du Père Noël, se situe donc ce Monsieur Merveille (Mister Bliss en VO). Il s'agit d'un conte que le Professeur a écrit pour ses enfants dans les années 1930, et qui est resté inédit jusqu'en 1982 où il a été publié aux Etats-Unis. Il a fallu attendre 2009 pour voir une édition française à La Mercurie. Cette édition se veut aussi fidèle que possible à l'oeuvre originale, puisque se trouvent en regard un fac-similé des pages d'origine (avec l'écriture de Tolkien et les illustrations qui les accompagnent) et la traduction française. Laquelle est vraiment fidèle, puisque souvent la fin d'une page intervient au milieu d'une phrase et que l'éditeur français respecte ces césures.
C'est l'histoire d'un drôle de bonhomme, Monsieur Merveille, qui porte des hauts de formes vraiment très hauts, et qui un jour décide d'aller acheter une voiture ; ce n'est que le début d'une longue aventure qui va l'amener à croiser une bande d'ours, des frères un peu couillons, un âne sympathique et plus encore...
Ce fut pour moi une nouvelle découverte, un nouvel ouvrage de Tolkien oscillant entre qualités narratives indéniables et jolies aquarelles au style un peu naïf. Cependant le conte, qui tient sur 50 pages, m'a paru un peu longuet, et les péripéties parfois un peu téléphonées. Mais souvenons-nous que c'était un conte pour enfants comme on en faisait des tonnes entre les deux guerres, et que souvent les mondes réels et contemporains (ici, la voiture, par exemple) étaient mêlés sans vergogne à des éléments plus spécifiques aux contes (les trois ours, etc.). La lecture ne fut pas désagréable, mais moins intéressante que Roverandom par exemple, qui se situe un peu dans la même veine. A noter la présence dans ce livre d'une créature inventée, le lapirafe, un lapin avec un cou de girafe, qui causera bien des soucis à Monsieur Merveille. Une jolie création, qui aurait peut-être mérité d'avoir ses propres aventures...
Je vous mets ici le commentaire de l'éditeur sur son site, curieusement absent du bouquin, alors qu'il éclaire un peu l'écriture du conte :
« Mr. Bliss » est la dernière grande histoire, hormis « Bilbo le Hobbit », que Tolkien ait écrit pour ses enfants. Il semble que « Mr. Bliss » lui ait été inspiré par ses mésaventures au volant de son automobile achetée en 1932. Tolkien a en effet eu une voiture avant la guerre, puis l'a abandonnée.
Par ailleurs, un récit différent a été rapporté par Mme Michael Tolkien (l’épouse du fils de J.R.R. Tolkien) dans une lettre au Sunday Times : « Ce livre a été écrit en 1928 pour les trois garçons du professeur. (…) Mon mari (…) avait alors 8 ans, et les trois ours incarnent les peluches qu'ils possédaient tous trois. Archie, celui de mon mari, a duré jusqu'en 1933. Il n'est pas non plus sans intérêt de savoir que la voiture conduite par « Mr. Bliss » s'inspire d'un jouet - avec chauffeur - qui était alors le préféré de Christopher. Mon mari se rappelle clairement l'histoire qui lui a été contée et qui se trouve dans un cahier de devoir de vacances, au titre de Dragon School (Oxford) à l'été 1928 ». La lecture merveilleuse de ce livre nous invite dans un monde où Tolkien a en effet donné la vie aux jouets : la voiture, les oursons, le lapirafe.
Il est difficile de dater de façon exacte la rédaction de ce texte. La seule certitude est que le livre a été achevé avant la fin 1936. « Mr. Bliss » est si évidemment conçu et réalisé comme une unité qu'il a dû être exécuté sur une courte période, les vacances estivales probablement, quand Tolkien était libéré d'une grande partie de ses contraintes universitaires.
La complexité du coloris de « Mr. Bliss » a retardé sa publication ! En 1936-37, Allen et Unwin étaient fort désireux de publier l'ouvrage. Seulement le coût requis pour la séparation des couleurs, pour la photographie, fixait le livre à un prix de revient que le marché ne pouvait pas supporter. Tolkien fut donc prié de redessiner les illustrations, en plus large et en trois couleurs seulement - sans compter le noir. L'éditeur se débrouillerait pour une séparation à la main. L'auteur répliqua : « Trois couleurs ? Quel fléau ! Le vert est essentiel et les ours exigent du brun ! » Placé face à cette éventualité, il ne trouva pas le temps d'effectuer le travail. Finalement une édition en fac-similé fut éditée en 1982, neuf ans après la mort de l'auteur qui en était venu, sur le tard, à n'aimer plus « Mr. Bliss » que comme une plaisanterie, et refusait toute publication...
Spooky.