Après le retour de Bernard Werber dans mes lectures, voici la découverte d’un autre auteur français, émargeant presque dans le même genre et chez le même éditeur. C’est donc de son dernier roman que je vais vous parler.
Léviatemps nous emmène dans le Paris de 1900, en pleine Exposition universelle. Une Paris en pleine mutation, avec l’arrivée de l’électricité, les voitures automobiles… Une Paris en passe de devenir le territoire d’un tueur en série diabolique, dont les victimes sont retrouvées avec une expression de terreur sur le visage. C’est après la mort affreuse de Milaine, une prostituée qu’il appréciait, et l’inertie manifeste des policiers chargés de l’enquête, que l’écrivain Guy de Timée décide de mener ses propres investigations, en compagnie d’une autre « courtisane » et d’un jeune inspecteur de police qui aimait Milaine. Leurs questions vont les emmener au sein de l’Exposition universelle, bien sûr, mais aussi dans les bas-fonds de la ville, les cercles paranormaux, le milieu de la prostitution…
Première constatation : c’est bien écrit. Maxime Chattam a un style clair, qui permet de bien comprendre ce qu’il se passe. Le décor est bien planté. On sent que l’auteur a potassé sur l’Expo universelle, sur ce qu’était Paris en 1900, sur les caractères des différents quartiers… Il ne se cantonne en fait que dans deux ou trois zones, mais c’est suffisamment précis pour être documenté. L’intention était probablement de proposer une immersion dans ce lieu et cette période de basculement, puisque c’est le début du règne de l’électricité, règne toujours en cours plus d’un siècle après. On a souvent dit que Jack l’Eventreur avait « inventé » le vingtième siècle. Chattam en propose donc sa version, à Paris, dix ans plus tard, mais avec un personnage aux motivations encore plus dérangeantes que le tueur de Whitechapel… C’est plutôt bien trouvé, l’ambiance est réellement présente, on s’y croirait.
Deuxième constatation : Chattam est un auteur moderne et moderniste. Il applique à des personnages qui ont vécu un siècle en arrière des pensées et des comportements des années 2000. Ainsi Guy de Timée effectue un véritable boulot de profileur pour remonter la piste du tueur de prostituées. D’accord, c’est un érudit, aristocrate, qui a beaucoup lu, qui a essayé de fréquenter différentes catégories socio-professionnelles pour les comprendre et en faire des personnages crédibles dans ses romans. Mais la facilité avec laquelle il dresse le portrait-robot du tueur est déconcertante. La scène d’analyse graphologique est, à mon sens, l’une des plus lourdes du bouquin. Il entre facilement dans le Cénacle des Séraphins, un cercle d’amateurs du paranormal soi-disant extrêmement fermé, aussi bien qu’auprès du roi des Pouilleux, une sorte de parrain des travailleurs de rue des bas-fonds. Ca ne devait pas arriver beaucoup en 1900 de pouvoir passer d’un milieu à l’autre comme ça. Autre petit défaut, on n’entre pas dans « l’esprit » d’Hubris, le tueur (c’est comme ça que le surnomme Guy, qui en fait une sorte de personnification du mal, mais dans le sens de sa démesure). Car si l’on découvre in fine son œuvre, on aurait aimé en savoir un peu plus sur ses motivations secrètes, sur la façon dont il « justifie » ses actes. Sauf à une occasion, on reste sur les enquêteurs, Guy et ses deux amis, et il manque une dimension au roman.
L’autre bonne idée, narrative celle-là, est d’embarquer le lecteur dans des fausses pistes. Les égouts de Paris sont peuplés d’étranges créatures, les enquêteurs suspectent tel personnage ambivalent, puis tel autre… Sans en faire trop, car on risque vite d’être lassé par ce procédé. Ici la balance est bien équilibrée, on sent la maîtrise narrative sur ces éléments. On sent également une légère influence de Clive Barker pour certains éléments, mais Chattam n’en fait pas trop, pour ne pas non plus se laisser emporter dans le côté délirant (et parfois malsain) de son illustre confrère.
Au final, Léviatemps est un roman plutôt bien fichu, à l’ambiance réussie, mais qui souffre de menus défauts, relativement peu handicapants pour apprécier ce thriller. Je pense lire d’autres bouquins de Chattam s’ils sont du même tonneau. Il y a des amateurs dans la salle ?
Spooky.