Entre la rédaction de Bilbo Le Hobbit (commencée, selon la légende, dans les tranchées françaises pendant la guerre de 14-18) et Le Seigneur des Anneaux, sorti en 1954-55, JRR Tolkien n'a cessé de développer la toile de fond de sa somme romanesque. S'il est acquis que la version "définitive" du Silmarillion fut prête en 1930, la matière première qu'il représentait a tout de suite été développée et déclinée en divers récits. Parmi les histoires les plus typiques se trouve celle de Beren et Luthien, deux Elfes qui ont parcouru le Beleriand, dont Tolkien n'a cessé de réécrire l'histoire. Le présent volume, qui constitue le tome III de l'Histoire de la Terre du Milieu, comporte deux versions de ce récit en vers. Car oui, le Professeur écrivait aussi de la poésie à ses heures perdues... Cette édition et cette traduction sont un évènement, car très peu d'éditeurs de par le monde s'y sont risqués, malgré le nom de l'auteur. Le Lai de Leithian comporte 4200 vers et 13 chants, lisibles aussi bien en français qu'en anglais dans cette édition, et abondamment commenté par Christopher Tolkien, qui revient, en fonction des éléments dont il dispose, sur la genèse, la composition, et même la réécriture dans le cas de certains passages. Christopher nous livre également le commentaire parodique de CS Lewis, ami de l'auteur et écrivain, qui témoigne de l'importance de leur relation et de leurs échanges sur la littérature. Le Lai des enfants de Hùrin raconte le destin tragique de Tùrin Turambar, lequel sera ensuite plus développé dans le récit Les Enfants de Hùrin (un de mes textes favoris de Tolkien, comme vous le constaterez en suivant le lien). Ce texte comporte quant à lui 2300 vers dans sa version poétique.
Le commentaire de Christopher Tolkien témoigne d'une connaissance accrue de l'oeuvre de son père, mais aussi, parfois, des "trous" qu'elle peut comporter. De ses contradictions, aussi. Au fil des réécritures, des relectures, des révisions, les noms, les lieux, les évènements fluctuent, parfois beaucoup. Beleriand s'appelait au départ... Broseliand. Et ce n'est pas anodin puis l'ensemble du Cycle d'Arda est censé nous raconter les premiers âges du monde, de notre monde, avant l'histoire, voire la Préhistoire telles que nous les connaissons. Le Beleriand aurait donc été l'ancêtre de notre actuelle petite forêt bretonne, théâtre de tant de récits arthuriens entre autres... Dans l'oeuvre tolkienienne, il fut le théâtre de nombreuses guerres entre les Elfes et Melkor (Morgoth), le mentor du redoutable Sauron du Seigneur des Anneaux (lequel s'appelait d'ailleurs Thû dans les premières versions de ces textes).
En quelques mots, voici l'histoire de Beren et Luthien. Beren, dernier survivant d'une lignée noble d'Hommes ayant lutté contre Melkor, erra quelques temps dans le Beleriand, luttant toujours de façon sporadique contre le tyran d'Angband (Melkor, donc). Il parvint un jour à pénétrer au royaume de Thingol, roi elfe, malgré la protection de Melian, grande magicienne elfe. Il tomba amoureux de Luthien, fille du roi, mais fut bientôt amené devant Thingol, furieux de cet amour clandestin. A la demande de Luthien, Thingol promit la main de sa fille contre un Silmaril, ces pierres précieuses dotées de grands pouvoirs et objets de tant de convoitises. Beren partit donc en quête de l'artefact, bientôt rejoint par sa bien-aimée, et tous deux parvinrent à dérober un Silmaril à Melkor. Mais un loup gigantesque, Carcharoth, lui dévora la main, et c'est mutilé que Beren revint réclamer la main de Luthien.
L'autre récit est bien sûr largement commenté dans le lien ci-dessus.
Je vous avoue que je ne suis pas un grand amateur de poésie ; c'est même contraint et forcé par les programmes scolaires et universitaires que jen ai lu dans mes jeunes années. Il n'y a vraiment que Tolkien pour me faire sortir de ma tour de verre. Alors bien sûr, la majesté des mots, l'enchaînement parfois sublime des séquences ont de quoi forcer le respect. La longueur des poèmes ici présentés est quand même quelque chose d'impressionnant. Mais je n'aime toujours pas ça. La faute à un rythme qui ne me "parle" pas, à des fioritures, des licences poétiques qui me donnent l'impression de perdre mon temps de lecteur... Du coup je décroche et perds facilement le fil du récit. J'ai eu besoin de l'excellente notice de tolkiendil.com pour comprendre enfin ce que j'ai lu... Je préfère toujours, et de loin, les versions en prose. Malgré son côté fourre-tout et limite bordélique, Le Silmarillion (publié en 1977 par Christopher aidé de Guy Gavriel Kay) reste quand même une référence pour certains textes... Cependant je rends hommage, et ceci de façon appuyée, au travail de traduction et d'adaptation de Daniel Lauzon et Elen Riot. Car au-delà de la traduction littérale, il faut aussi respecter la métrique, la rime que l'on crée, et garder le sens général à l'intérieur d'une même phrase. Un boulot de titan, qui a permis au public francophone de découvrir ce texte sans doute admirable.
Spooky.