Un simple fait divers dans l’Amérique des années cinquante. Dans une banlieue paisible où la vie est tranquille et ordinaire, une adolescente, Meg, et sa jeune sœur handicapée ont été placées chez une tante éloignée après le décès de leurs parents.
La tante a une certaine idée de l’éducation. Ses brimades, d’abord anodines, font vite place à des accès de rage, des caprices cruels, et bientôt un atroce supplice dans lequel elle entraîne ses trois fils, puis les autres garçons du voisinage.
L’un d’eux, pourtant, refuse de participer mais ne peut se résoudre à s’opposer à l’autorité de cette femme. Il sait qu’il doit prendre une décision d’adulte : faire un choix entre l’amour et la luxure, entre la compassion et le mal.
« Ce livre est insupportable, je ne l’oublierai jamais », a indiqué en accroche l’éditeur de ce livre… Je n’en suis qu’à la moitié quand je commence ma chronique, et c’est le cas. J’ai dû me faire violence. Violence pour lâcher, l’espace de quelques minutes, ce roman qui vous tord l’estomac. L’horreur, à ce moment, ne fait que monter, mais déjà c’est insupportable. L’écriture, la narration sont d’une qualité rare. Ketchum découpe son récit en chapitres courts, voire très courts. Le dernier de la première moitié ne comporte par exemple qu’une phrase, anodine en apparence, mais qui marque le basculement dans la folie de l’histoire. Une fille comme les autres est l’histoire d’une descente aux enfers. L’enfer c’est bien sûr l’abri souterrain où les enfants et leur mère font subir de nombreux sévices à la pauvre Meg, mais aussi l’esprit de Ruth, la tante de la jeune fille, qui assiste en tant que chef d’orchestre au défoulement de ses fils. Chef d’orchestre mais aussi entomologiste, puisqu’elle observe soigneusement leur comportement, s’amusant à les manipuler pour les faire aller plus loin encore dans l’horreur. Ce qu’il se passe dans cet abri est horrible, et nous le voyons par les yeux d’un petit voisin, qui sent monter en lui un mélange complexe de sentiments : le désir, la fascination morbide, la révolte, la colère… Une parabole sur l’entrée dans l’adolescence, où fantasmes naissants rentrent en conflit avec la raison, la bienséance et le bon sens. Et même, la santé mentale.
Jack Ketchum, dont c’est le pseudonyme, s’est inspiré d’une histoire vraie datant des années 1965 pour écrire son histoire. Celle-ci est violente, mais pas extrêmement, et elle traumatisera certinement nombre de lecteurs. Attention donc aux âmes sensibles.
Ma lecture fut à la fois passionnée et douloureuse. Passionnée parce que Ketchum écrit extrêmement bien, son style est nerveux et il sait installer une ambiance en peu de mots. Douloureuse parce que ce qu’il raconte est quand même très dérangeant. Attention, Ketchum n’est pas malsain, il sait s’arrêter sur le seuil de l’insoutenable ; mais son roman pose clairement la question : si l’on a le choix, la liberté, basculerait-on dans la violence gratuite, ou choisirait-on la voix de l’empathie, de la bienséance ? c'est un huis-clos oppressant, vraiment très prenant. A noter le jeu de mots contenu dans le titre pour une fois intéressant en français : en effet, The Girl next door (titre original donc) signifie littéralement "la voisine", mais aussi "la fille ordinaire", ces deux appellations s'appliquant idéalement à Meg. Les traducteurs et éditeurs français ont donc choisi la version la moins littérale, pour souligner la banalité de l'histoire, ou du moins la banalité du cadre...
Ce livre est insupportable, je ne l’oublierai jamais.