A Scanner darkly (2006) est l'adaptation un peu libre du roman de Philip K. Dick Substance mort. Celui-ci s'était inspiré de sa propre vie, et en particulier son rapport à la drogue, puisque Substance mort parle d'un flic des stupéfiants qui se retrouve affecté à sa propre surveillance. Philip K. Dick est un auteur qui a la grâce du 7ème art, puisque plusieurs de ses oeuvres ont déjà été adaptées, avec pas mal de bonheur. Je citerai Paycheck, Blade Runner, Minority Report.
Substance mort a fasciné pas mal de réalisateurs (après des millions de lecteurs), puisque Charlie Kaufman, Terry Gilliam se sont succédés sur le projet avant que Richard Linklater ne s'y attelle pour finalement le réaliser.
Celui-ci a utilisé une technique déjà éprouvée sur son précédent long-métrage, Waking Life. Les acteurs sont filmés numériquement, avant que le film ne soit retouché par des artistes. A Scanner darkly ressemble donc à un énorme film d’animation, extrêmement réaliste puisque les artistes ont collé au plus près au film originel. Cela donne au film un cachet un peu étrange, comme une réalité un peu difficile à saisir, un peu fuyante. Ce choix artistique s’avère judicieux puisque le roman de Dick (que je n’ai pas lu) parle justement de l’identité, et de la dualité latente du cerveau, dualité rendue plus palpable avec l’absorption de la Substance M. (Substance D. en VO).
Le récit se situe 7 ans dans le futur. 25% de la population sont des toxicodépendants. Dans le Comté d’Orange, en Californie, « Fred » est un flic des stups, qui participe à des réunions d’information au sujet de la Substance D. La plupart de ses interventions, ainsi que son activité de flic s’effectuent avec une combinaison de camouflage permettant de changer continuellement d’apparence pour ne pas être identifié. Son boulot c’est l’infiltration. Un jour on lui affecte la surveillance d’une maison où vit Bob Arctor, un junkie/dealer notoire, avec deux de ses amis, un peu shootés eux aussi. Bob fréquente Donna, qui est son fournisseur officiel de dope, mais il aimerait aller plus loin dans leur relation. Ce que personne ne sait, ou fait semblant de ne pas savoir, c’est que « Fred » et Bob ne font qu’un. Commence alors un étrange jeu du chat et de la souris, le cerveau de notre flic junkie s’amusant à brouiller les cartes.
Je l’ai dit, le choix artistique majeur de Linklater s’avère payant, puisque la réalité s’échappe, se modifie, glisse entre les doigts de Bob. Il a aussi choisi un casting impressionnant, puisqu’on a à l’écran les avatars de Keanu Reeves dans le rôle principal, mais aussi Robert Downey Jr (excellent en chimiste surexcité), Woody Harrelson et Winona Ryder. Des acteurs qui ont des réputations plus ou moins sulfureuses, obligés de jouer des drogués, mais aussi des personnages aux apparences biaisées. Keanu Reeves ne se départit pas de son air lunaire, carrément inexpressif, mais curieusement le crayon lui apporte un surplus d’humanité. Les acteurs son globalement bons, rien à redire là-dessus.
Le fond du film, s’il est clair, n’est toutefois pas totalement servi par la forme. Ainsi Linklater ne va-t-il pas vraiment au fond des choses. La psychose de Bob Arctor n’est qu’effleurée, on ne ressent pas vraiment cette lente descente en-dessous de la réalité. Si le sujet du flic infiltré, mais aussi manipulé, est classique, il n’est ici que pour servir les visions paranoïaques de Dick. Or cet aspect n’est là non plus pas trop mis en avant, mais cela ne laisse cependant pas assez de place pour le côté schizophrène de l’histoire. Le film dure 1h36, mais il aurait sans doute gagné en épaisseur avec une demie-heure supplémentaire.
C’est dommage, vraiment dommage, car le film est assez bon, mais au final, il reste trop sage, malgré l’épitaphe édifiante de Dick inscrite au générique de fin. La parabole sur l'identité n'est qu'un film expérimental de plus. Lisez le bouquin, c’est d’ailleurs ce que je vais faire.