Un beau matin, au sortir d’un rêve agité, Joel Barish se réveille seul et déprimé. Il lui manque quelque chose, quelqu’un… Sur un coup de tête, il décide de sécher le boulot pour se rendre à la plage de Montauk. Il y croise une jeune fille qui lui plaît mais que sa timidité maladive et son humeur morose l’empêchent de draguer. Heureusement, la demoiselle est plus entreprenante que lui. Elle aussi est venue chercher sur cette plage quelque chose qui lui manquait, ce matin-là… Pourquoi ces deux-là ont-ils précisément choisi, le même jour, cette petite plage triste pour tromper leur ennui ? N’en disons pas plus sur l'histoire ; avec un peu de chance, l'effet de surprise restera intact pour les 2 ou 3 personnes qui n’auraient encore rien lu sur Eternal Sunshine of the Spotless Mind avant d’aller le voir.
De Dans la Peau de John Malkovich à Adaptation en passant par Human Nature, le scénariste Charlie Kaufman s’est fait une spécialité des intrigues à rebondissements multiples, généralement centrées autour d’une idée un peu tordue. Cette volonté d’étonner constamment le spectateur est appréciable ; néanmoins, il faut reconnaître que ça reste du cinéma-gadget, des petits films qu’on trouve rigolos la 1ère fois mais qui ne résistent jamais à un second visionnage : une fois que l’effet de surprise ne joue plus, le film perd presque tout son charme.
Le "gadget" d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind est, à vrai dire, presque banal : la manipulation de la mémoire est un thème classique de la S.-F. L’originalité est de ne pas utiliser ce thème pour nous transporter en 2070 et parler de robots à qui l’on a implanté des souvenirs d’êtres humains, ou d’ouvriers qui rêvent d’avoir été agents secrets sur Mars, mais pour raconter une histoire d’amour contemporaine. Articulée autour d’une rupture, comme le récent 5x2, l’histoire du film est empreinte de tristesse et de mélancolie mais sans pour autant avoir le ton profondément noir du film d’Ozon : plutôt que de s’acharner à montrer que non, les hommes et les femmes en couple, ça ne marche pas, c’est voué à l’échec, Gondry et Kaufman s’attachent à toutes ces choses qui font que l’amour est beau même s’il est triste, à tout ces jolis moments d’intimité et de bonheur que peuvent partager deux êtres malgré tout ce qui, par ailleurs, ne fonctionne pas entre eux. Et la grande force du film, dans le fond, c’est de parvenir à être beau, aussi bien dans son propos que dans ses images, sans pour se réduire à un joli petit bibelot décoratif, sans verser dans l’abondance de bons sentiments gnangnans, sans nous faire le coup des "si mignonnes petites choses de la vie" qui fit le succès d’Amélie Poulain. Cela dit, et en espérant ne pas gâcher le suspense, à trop vouloir en faire dans le genre "histoire d’un bel amour que rien ne pouvait faire disparaître", la conclusion est un peu décevante parce que trop "hollywoodienne".
Visuellement, le film est réussi, mais l’on peut reprocher à Gondry d’abuser un peu de certains effets spéciaux. Les scènes d’effacement et d’effondrement de la mémoire deviennent ainsi assez redondantes au bout d’un moment : deux ou trois fois, ça va, mais cinq ou dix fois, on a envie de dire "Bon, on a compris maintenant, trouve autre chose !".
Le tic habituel des scénarii de Kaufman s’estompe quelque peu : plutôt que d’imposer tous les quarts d’heure un retournement de situation tiré par les cheveux, Gondry et Kaufman préfèrent ici dérouter le spectateur par des allées et venues dans le temps, en fournissant dans le désordre les différentes pièces du puzzle que constitue l’histoire. La sensation de se laisser embarquer doucement dans une affaire étrange à laquelle on ne comprend pas tout dès le début est plutôt agréable, et l’on prend plaisir à assembler soi-même les éléments de l’intrigue au fur et à mesure qu’il nous sont proposés.
Le casting ne fait pas vraiment d’étincelles, malgré le nombre de visages connus qu’on retrouve dans le film ; sans être mauvais, ils sont quand même un peu tous en mode "pilote automatique". Dans les rôles principaux, Kate Winslet nous rejoue un mix de ses précédentes compositions d’éternelle ado un peu excentrique (à bientôt 30 ans, il faudrait qu’elle demande à son agent de commencer à lui chercher des rôles d’adulte de temps en temps), tandis que Jim Carrey offre une légère variante de son personnage de gentil garçon qui voit son monde s’écrouler autour de lui, qu’il était déjà dans The Truman Show. En guest-stars, Kirsten Dunst et Elijah Wood vivent une intrigue annexe assez peu passionnante.
Au final, les beaux moments du film ne parviennent malheureusement pas à faire totalement oublier ses défauts… mais ceux-ci ne parviennent pas, quant à eux, à gâcher les beaux moments du film. Reste donc un joli film pas totalement réussi mais très attachant.