Stephen King revient (encore) avec ce recueil de quatre novellas.
Le Téléphone de M. Harrigan
Craig, treize ans, arrondit ses fins de mois en allant, tous les après-midi, faire la lecture et s'occuper du jardin de M. Harrigan, un businessman retraité. L'histoire se déroulant en 2004, son père offre à l'adolescent le premier iPhone pour son anniversaire. Persuadé que cela pourrait lui être utile, Craig décide d'en offrir un à M. Harrigan, devenu quelque part un grand-père de substitution. C'est lui qui retrouve le vieillard décédé, quelques mois plus tard. Très triste, il pense cependant à prendre son téléphone portable, pour le glisser dans sa poche lors des obsèques. Lorsque Craig se fait molester par une petite brute au lycée, il se sent un peu seul, et envoie un sms racontant sa mésaventure à son ancien employeur. Qui lui répond. Par un message incohérent, quelques lettres sans queue ni tête. Craig prend peur, mais son père le rassure. Le lendemain, l'adolescent apprend le décès de la brute. Quelques années plus tard il apprend la mort tragique de sa prof d'anglais préférée et de son mari, lors d'un accident de la route provoqué par un alcoolique circulant sans permis. Craignant l'abandon des poursuites envers le meurtrier grâce à ses relations, Craig envoie un nouveau message à M. Harrigan, en indiquant qu'il souhaiterait que le coupable meure. Ce qui arrive par la suite...
Si le sujet est assez typique de ceux de King, je dois avouer que, encore une fois, j'ai dévoré cette histoire qui parle de deuil, mais aussi de justice immanente. Comme souvent King ne livre aucune explication, et l'histoire se termine plutôt bien, assez sainement dois-je dire. Cela ressemble toutefois un peu à une nouvelle "fond de tiroir", même si l'ancrage technologique la place dans une période récente.
La vie de Chuck
Ca ressemble à la fin du monde... La Californie, victime de plusieurs tremblements de terre, a complètement disparu. Internet a définitivement été coupé, et le réseau téléphonique va probablement suivre... Des cratères se forment sur les routes, certains Etats brûlent entièrement... Un volcan est apparu en Allemagne... Et au milieu de tout ça, une même publicité qui apparaît partout, proclamant ": Charles "Chuck" Krantz. 39 années formidables, merci Chuck !
Dans cette nouvelle antichronologique, Stephen King nous parle du temps qui passe, de fantômes et d'amour. Elle est relativement faiblarde, et surtout assez nébuleuse.
Si ça saigne
La troisième novella, qui donne son titre au recueil, nous permet de retrouver un personnage plutôt marquant de l'oeuvre de King, à savoir Holly Gibney, qui a fait son apparition dans la Trilogie Hodges et qui a un rôle assez important dans L'Outsider. Plusieurs années ont passé, et Holly dirige seule l'agence Finders Keepers, qui emploie également Pete, un ancien flic, et Jerome, l'étudiant malin déjà vu avec Hodges. Holly voit un jour à la télé un direct sur une explosion d'origine terroriste dans une école. Au-delà de la sidération et de l'horreur, son attention est attirée par le présentateur, Chet Ondowsky, qui semble changer d'apparence entre son premier reportage, quelques minutes après l'attentat, et son second, quelques heures plus tard... Elle s'en ouvre à son psy, qui la met en relation avec un confrère, dont un patient a quelque chose à lui révéler à ce sujet. Holly voit donc ressurgir le fantôme d'une affaire passée...
Comme il l'explique dans sa note en postface, Holly est le personnage parfait pour partir à la poursuite de ce présentateur télé/charognard (au sens presque propre). C'est un personnage que King adore, et nombre de ses lecteurs (parmi lesquels je m'inclus volontiers) également. C'est une femme qui combat farouchement ses névroses, qui pense à protéger ses amis avant tout, mais qui essaie d'aller de l'avant, de rendre le monde un peu meilleur. Cette novella s'inscrit parfaitement dans le multivers de King, même si elle reste en-dehors du segment Castle Rock.
Rat
Drew Larson est un écrivain contrarié. Professeur d'anglais à l'université, il a à son actif une demie-douzaine de nouvelles publiées, mais n'arrive pas à plonger dans le grand bain, à devenir un romancier. Il a fait des tentatives par le passé, mais elles se sont soldées par des échecs, des échecs douloureux. Mais un jour, sans prévenir, lui arrive l'idée, une image d'un jeune homme tenant en joue une jeune femme dans un saloon, et des témoins stupéfaits. Persuadé que cette fois sera la bonne, il profite de quelques jours de congés pour laisser femme et enfants et aller s'isoler dans le chalet de son père dans le nord du Maine. Peu avant d'y arriver, il serre la main du tenancier de l'épicerie locale, visiblement malade. Dès qu'il s'y attèle, l'écriture coule de manière fluide, il se sent en veine. Mais une tempête homérique s'abat sur la région, tandis que son corps présente les premiers symptômes d'une grippe carabinée. Drew refuse de battre en retraite, et décide de rester dans le chalet. Mais au plus fort de la tourmente, il entend un bruit, un grattement ténu contre la porte d'entrée. Il trouve un rat sur le paillasson, visiblement à deux doigts de trépasser. Au lieu de l'achever, il le ramène à l'intérieur, au chaud. Et le lendemain, le rat lui parle. Et lui propose un pacte.
Ce quatrième récit est lui aussi dans une veine dans laquelle King est à l'aise, celle de l'écrivain confronté à la page blanche, mais aussi à un évènement surnaturel, pour peu, en l'occurrence, que cet avènement ne soit pas une hallucination due à la fièvre (mais une scène à la fin vient balayer cette assertion). Encore une fois King (et pour cause) décrit parfaitement ces frustrations d'auteur, ce souhait d'appartenir à la cour des grands, ce phénomène si particulier quand vous vous retrouvez sous une avalanche d'idées, ou pire, de mots (quand vous hésitez entre 6 ou 7 façons de décrire une scène, un élément du décor ou autre...). C'est... fascinant. Et si l'argument de la novella se révèle un peu faiblard, encore une fois le génie du storytelling et cet ancrage vers la condition d'écrivain prennent le pas sur cette histoire de rat méphistophélique.
Au final j'ai éprouvé un plaisir assez important dans la lecture de ce recueil. King y brasse quelques-uns de ses thèmes fétiches - la préadolescence, la technologie, l'art de l'écriture, Holly Gibney- qui nous amènent en terrain connu et toujours exploré avec plaisir. Tout juste suis-je plus réservé sur La vie de Chuck dont l'argument -la moindre personne possède le monde en elle- me semble fallacieux ou mal exploité. King dit en postface en avoir fait une nouvelle après avoir écrit deux histoires mettant en scène Chuck Krantz. Autant parfois certaines de ces histoires construites de bric et de broc peuvent donner des récits géniaux, autant là ça ne fonctionne pas sur moi.
A l'heure où j'écris ces lignes, la machine à écrire King continue à tourner à plein régime. Later, un polar fantastique aux accents de pulp, est annoncé en France pour le mois d'octobre, alors que Billy Summers sortira en VO en août. Et qu'une troisième nouvelle mettant en scène Gwendy, coécrite avec son complice Richard Chizmar, sortira en février 2022...
Spooky