"Ca y est, ça le reprend", vont s'exclamer certains...
Eh oui, je suis un tolkienophile indécrottable, et je l'assume. Non content d'avoir lu presque toute sa production traduite en français, je me suis mis depuis plusieurs années à lire les ouvrages analytiques sur son oeuvre... Et de temps en temps je m'en lis deux ou trois en rafale, voire plus.
Cette fois-ci je me suis intéressé à un ouvrage collectif, publié par le CNRS (centre national de la recherche scientifique, excusez du peu), qui a essayé de déterminer les relations de son oeuvre majeure (le duo Bilbo le Hobbit-Le Seigneur des Anneaux) avec les éléments médiévaux. Tous les contributeurs sont des chercheurs spécialisés dans les études médiévales, et chacun, selon sa spécialité, propose donc une étude. Léo Carruthers, lui-même chercheur dans l'estimable institution, qui dirige l'ouvrage, a réparti ces contributions en se basant sur une carte conceptuelle. En partant du "Vieux continent", c'est à dire l'inspiration littérale (du Moyen-Age vers Tolkien), nous naviguons sur les Îles, l'inspiration interculturelle vers des "terres inconnues", représentant les inspirations artistiques et magiques. Organisation, ou plutôt symbolisme audacieux, mais en accord finalement avec les écrits de Tolkien, surtout Le Seigneur des Anneaux, où nous suivons les Hobbits quittant leur Comté douillette pour partir à l'aventure, rencontrer d'autres cultures et finalement [SPOILER] partir vers l'inconnu en fin de parcours... [FIN SPOILER]
A noter que ce cheminement rédactionnel est matérialisé par une carte reprenant les différents éléments.
Tolkien et le Moyen-Âge... Une relation évidente, diront les représentants du grand public, Le Seigneur des Anneaux c'est plein de châteaux forts, de soldats en armures, de seigneurs... Mais si l'on se penche plus précisément sur les éléments constitutifs du Moyen-Âge, c'est moins évident. Penchons-nous d'abord sur la littérature. Le Seigneur des Anneaux doit ainsi beaucoup au Kalevala, un long poème épique écrit en finnois et rassemblant des chants anciens à la fin du XIXème siècle. Le Kalevala semble avoir pas mal inspiré Tolkien pour le personnage de Tom Bombadil, l'énigmatique forestier que rencontre la Communauté de l'Anneau. Les légendes arthuriennes sont aussi une inspiration évidente, quand on voit des personnages comme Aragorn, qui rassemble les figures d'Arthur et de Galaad, par exemple. Médiéviste distingué, l'auteur fut aussi et surtout un philologue de haut niveau. C'est ainsi qu'il a développé des systèmes entiers de langues, et qu'en particulier les langues hobbite et rohirrim (c'est à dire parlée par les habitants de la région du Rohan) ont des liens très forts. La langue de la Comté était, dans l'esprit du professeur, comparable à l'anglais moderne, alors que la langue du Rohan serait à rapprocher du vieil-anglais...
Les contributeurs se sont ensuite penchés sur le personnage de Beorn, l'homme-ours qui apparaît dans Bilbo le Hobbit. Un personnage emblématique qui a des occurrences dans bien des légendes médiévales européennes... Une autre étude revient sur l'une des figures centrales du Seigneur des Anneaux, celle de l'Anneau, à laquelle Gollum est indéfectiblement lié.
Les îles, l'inspiration interculturelle... Ca débute par une étude sur les différents Seigneurs du Seigneur des Anneaux. Car, s'il est acquis depuis longtemps que celui auquel fait référence le titre, c'est Sauron, le récit est truffé de princes, de rois, au premier rang desquels Aragorn, descendant des rois du Gondor, et guerrier errant qui va reconquérir sa couronne. Il y a aussi Theoden, sa fille Eowyn, Boromir, fils de l'intendant du Gondor dont la noblesse d'âme n'est plus à prouver ; son frère Faramir aussi. Et puis ceux qui n'ont pas de titre "officiel" mais qui sont aussi des seigneurs de par leur comportement. Frodo bien sûr, Elrond, qui est plus ou moins l'intendant de Fondcombe... Sa fille fort souvent perçue comme une princesse elfe, et amoureuse du futur roi de Gondor... Ca fourmille de têtes couronnées là-dedans... Ce côté très féodal se retrouve dans la vassalité d'autres personnages, tels Sam, d'une loyauté exemplaire envers Frodo, ou Pippin et Merry, qui vont se mettre au service de deux royaumes dans la Guerre de l'Anneau... Plusieurs contributeurs se sont intéressés à ce que j'appelle le Decorum du Seigneur des Anneaux et à Bilbo le Hobbit : les armes, les armures, le symbolisme, et parfois le pouvoir particuliers qu'ils revêtent aux yeux des protagonistes ou dont ils sont réellement dotés. La musique et la poésie, éléments indissociables de l'univers d’Arda, sont également passés au crible. Car c'est bien la musique et les chants qui président à la création de ce monde, sous l'égide d'Iluvatar.
La troisième partie des études propose de revenir sur l'inspiration artistique et magique du Seigneur des Anneaux et de Bilbo le Hobbit. Ici Tolkien est allé chercher son inspiration bien loin, vers le gigantisme de l'art antique égyptien et la légende de l'Atlantide pour construire ses forteresses imprenables, ses édifices cyclopéens, l'histoire de Numenor même. On s'éloigne un peu de la culture médiévale dans ces pages. L'un des derniers chapitres aborde la question de la médecine ; je ne l'avais jamais remarqué, mais les passages consacrés aux soins et à la guérison sont aussi peu nombreux que courts dans les pages du Seigneur des Anneaux. Aragorn (investi d'un pouvoir divin, que l'on attribuait aux rois de France, il est vrai), guérit une grave affliction par imposition de la main. Frodo se réveille guéri dans la maison d'Elrond, sans qu'on sache ce que celui-ci a fait pour le guérir. Et ce sont là les passages les plus importants. Il s'agit là d'une faiblesse dans le "paysage" tolkienien, qui affaiblit l'impression de réalisme de l'ensemble. Cette étude fut l'une des plus intéressantes pour moi, car j'y ai vraiment vu un aspect nouveau, encore inédit. Et pour finir, l'étude consacrée à la magie et à la sub-création revient sur la notion de mage, incarné à la fois par Gandalf et Saruman, qui ne sont pas des Hommes, mais des Istari, c'est à dire des êtres d'essence divine et extrêmement anciens.
En conclusion, après cette lecture, je dois dire que je suis relativement mitigé. Bien sûr, comme dans tous les ouvrages collectifs, il y a de bonnes et de moins bonnes choses. Globalement je n'ai pas appris grand-chose sur l'inspiration médiévale de Tolkien. Certaines études vont un peu plus loin dans le decorum, ce qui est loin d'être inintéressant, mais en ce qui concerne le Kalevala ou Beowulf, ce sont des références depuis longtemps citées chez les exégètes du Professeur. Par contre je n'avais jamais vu le personnage de Beorn sous cet angle, et le chapitre sur la médecine m'a apporté du neuf. A lire par les acharnés. Malgré certains côtés un peu datés, je recommande aux néophytes la lecture de Tolkien, sur les rivages de la terre du Milieu, ouvrage critique fondateur en France de Vincent Ferré. (trouvable en grand format chez Christian Bourgois ou en Pocket) Pour vous remettre tout ça en mémoire, retrouvez son interview exclusive ici.