Attention, la lecture de ce billet sous-entend que vous connaissez l'intrigue du Seigneur des Anneaux, qu'il s'agisse du roman initial ou des trois films de Peter Jackson. Dans le cas contraire vous risquez de vite être perdus... Du coup, une séance de rattrapage s'impose !
Bien avant l'adaptation (vraiment réussie de mon point de vue) par Peter Jackson et son équipe, un autre réalisateur s'est attaqué au roman de Tolkien : l'américain Ralph Bakshi. En 1978 est donc sortie cette première partie de l'adaptation, qui ne sera pas suivie de la seconde, probablement à cause de l'échec artistique qui en découla, car le public répondit présent à l'époque.
Car on peut vraiment parler d'échec artistique, tellement Bakshi semble à côté de la plaque. Son métrage est truffé de raccourcis narratifs, de contresens et de situations ridicules... Mais parlons-en plus en détail.
La première erreur du réalisateur a été de vouloir faire un film techniquement hybride, mêlant les prises de vue réelles avec le dessin animé. L'essentiel de l'intrigue est représentée par l'animation, alors que des scènes additionnelles sont en prises réelles, légèrement retouchées, notamment les scènes avec des chevaux. L'imbrication des deux fait souvent mal aux yeux, et cette technique, la rotoscopie (ou rotoscope) confère une atmosphère étrange. Du coup les Orques, par exemple, ont vraiment un aspect inquiétant, peut-être pas de la façon dont s'y attendait le réalisateur. Car cela induit un décalage parfois incroyable avec la partie animée. Celle-ci, assez rudimentaire (on se croirait presque dans les tout premiers Walt Disney), apparenterait presque le film à un long métrage pour enfants, tant l'image est édulcorée, les personnages presque caricaturaux... Sam est d'une laideur inconcevable, Frodo d'une mièvrerie sans borne et Aragorn change de tête dès qu'il la tourne.
Boromir se sert de son épée comme d'une raquette, le nain est aussi grand que les humains (pourtant il est animé, ce n'est pas un vrai acteur), l'arc de Legolas change d'aspect entre deux plans, et les combats sont tournés au ralenti... Un tel amateurisme est effarant. Le mélange des techniques amène parfois de drôles de scènes, comme ces personnages desinés qui semblent flotter devant un décor "réel" mais passé par un trucage indéfinissable. L'animation a l'air vraiment ancienne, elle est même parfois difficile à décrypter. Ca sent très mauvais, et je n'ai parlé que du visuel.
Sur le plan de l'histoire, c'est presque pire. Bakshi prend d'énormes libertés avec le roman de Tolkien. Comme chez Jackson, le passage avec Tom Bombadil est totalement sucré. Le Conseil d'Elrond est expédié en deux temps trois mouvements. Les Spectres de l'Anneau sont censés être inquiétants mais sont facilement mis en fuite dès leur première attaque. Ils attaquent d'ailleurs à cinq, puis s'enfuient à quatre, et puis sont à nouveau cinq... Il y en a un qui était parti pisser je pense. J'ai fait un bond lors de la rencontre avec Legolas, qui se retrouve carrément à la place d'Arwen (qui du coup disparaît totalement du script...). En Lothlorien également le récit est haché en morceaux, entre scènes d'un angélisme vomitif et une Galadriel qui ressemble à Cendrillon... Le Balrog ressemble à un lion à la robe sombre, et avec des ailes ; le comble du ridicule... Bakshi s'est quand même efforcé d'essayer de retranscrire l'attirance de Bilbo, Boromir, entre autres, pour l'Anneau unique. Mais ça ressemble plus à Quasimodo regardant sous les jupes d'Esmeralda dans le Notre-Dame de Paris de Disney qu'à autre chose... Le sous-entendu homosexuel entre Sam et Frodo est présent, mais camouflé par une bonhomie enfantine, qui là encore désamorce presque toute analyse sérieuse. Et puis franchement, entendre LE Comté pendant tout le film, ça m'a hérissé les poils.
Le supplice dure un peu plus de deux heures. Le temps pour Bakshi de (mal) "traiter" le premier Livre, et un premier tiers du second. Une fois la bataille du Gouffre de Helm finie, et avant la rencontre de Frodo et Sam avec Arachne. Pourquoi m'infliger un truc pareil, me demanderez-vous ? "Spooky, serais-tu masochiste ?" Peut-être. Mais je suis surtout avide de lire ou voir tout ce qui a trait au Seigneur des Anneaux, que ce soit de qualité ou pas (enfin bon, ça se discute hein). En l'occurrence c'est tout de même intéressant, à titre historique, car il s'agit, à ma connaissance, de la première tentative plus ou moins aboutie de l'oeuvre maîtresse de Tolkien. C'est kitsch, donc collector. En plus c'est une cassette VHS. Oui, je sais.
Spooky.
NB : En faisant quelques recherches sur ce long métrage j'ai découvert que le studio qui l'a produit a également produit deux dessins animés dans le même univers, l'un adaptant Bilbo le Hobbit, l'autre le Retour du Roi. Ces productions, destinées à la télévision, n'ont jamais été distribuées en france, même si j'ai cru lire sur un blog que la Fnac les avait proposés en pack il y a quelques années... Si quelqu'un a des infos à ce sujet, je suis preneur...
EDIT du 3 mars 2014 : Après visionnage de la version DVD du film, je rajouterai simplement que celle-ci comporte en bonus un documentaire retraçant en 30 minutes le parcours de Ralph Bakshi, qui a eu son heure de gloire à l'époque où le maison Disney était un peu en berne, notamment lorsqu'il a réalisé Fritz the Cat, d'après l'oeuvre de Robert Crumb. Documentaire un peu partial, mais pas inintéressant par moments. L'autre bonus est une bande-annonce pour le jeu video La Quête d'Aragorn.