Pour le 300ème billet publié sur le présent blog, je voulais marquer le coup. D'abord en vous parlant d'un film exceptionnel, Inception. Et puis GiZeus, collaborateur régulier du blog, m'a proposé d'écrire une chronique à deux, puisque visiblement nos ressentis étaient proches. Cela donne l'article que vous allez lire. J'espère que cela vous plaira, et vous donnera envie d'aller voir ce film, ou de le visionner lorsqu'il sortira en video.
Spooky.
Depuis Memento, il y a 10 ans, Christopher Nolan est un réalisateur-scénariste qui monte en puissance. Tous ses films, à l'exception d'Insomnia, sont des œuvres uniques, marquantes, intelligentes. Quand il a été amené à reprendre la série des Batman, en 2006, beaucoup ont eu peur qu'il s'y casse les dents, comme d'autres avant lui. Mais il a réussi le même coup que Bryan Singer avec la franchise X-Men : insuffler une nouvelle dynamique et donner une véritable dimension humaine aux personnages. Batman begins, mais plus encore The Dark Knight sont des œuvres crépusculaires, d'une dimension épique inouïe. Le Prestige, réalisé à la même époque (soit 2006) est aussi un film très réussi, sur un sujet inhabituel, la prestidigitation, mais surtout sur les faux-semblants, un sujet récurrent dans les films de Nolan.
En 2010, avec les pleins pouvoirs financiers de la Warner après le triomphe de The Dark Knight, il revient avec Inception, une série B aux allures de blockbuster, qui devrait asseoir définitivement sa réputation.
Cobb est un voleur d'un genre particulier : sa spécialité est d'infiltrer l'esprit des gens pour en extirper les secrets, au cours de leurs rêves. Un métier dangereux, complexe, mais où il est devenu le meilleur après avoir perdu sa femme. Soupçonné de l'avoir tuée, il ne peut rentrer aux Etats-Unis pour retrouver ses enfants. Pourtant une grosse société, représentée par l'énigmatique Saito, lui propose de l'affranchir de toute inculpation s'il parvient, par le biais de sa technique poussée à l'extrême, à persuader l'héritier d'un empire industriel de disloquer ledit empire. Pour cela Cobb et ses acolytes vont utiliser la procédure de l'inception, consistant à instiller une idée dans l'esprit de ses victimes, toujours par l'intermédiaire du rêve, mais en plaçant cette idée au plus profond de son subconscient, de sorte qu'il soit presque persuadé d'avoir eu l'idée lui-même. S'engage alors une véritable course-poursuite contre le temps, Cobb et son équipe ne disposant que de quelques heures pour agir. Mais un élément très perturbant, connu de Cobb seul, va gripper les rouages d'une mécanique si bien huilée...
Avec les bases qui sont posées, Nolan parvient à développer son sujet de façon magistrale. En effet, alors que nombre de scénaristes auraient galvaudé des idées pareilles, en nous servant un divertissement plat et sans valeur ajoutée, Inception n'hésite pas à tourmenter le spectateur dans des considérations oscillant entre mysticisme et métaphysique. Les rêves notamment, seront le moyen d'interroger le spectateur sur la réalité du monde dans lequel il évolue. Mais cette idée d'une perception faussée de l'univers, de sa tangibilité physique, est loin d'être neuve. On pourra aisément faire l'amalgame entre le Malin Génie de Descartes et le rêveur de Nolan, ou encore comparer le terrain des rêves à la Matrice. Certainement plus que Descartes, on peut spéculer que l'écrivain renommé de science-fiction Philippe K. Dick a influencé le réalisateur sur ce thème. Néanmoins, là où les exemples sus-cités se contentaient d'une dualité vrai/faux, ou laissaient planer le doute, on trouve ici une imbrication de ces univers.
Mais trêve d'interrogation sur une prétendue paternité. Car si Inception n'introduit pas des thèmes entièrement novateurs, le film amène avec lui sa cohorte de trouvailles jouissives. On notera au passage qu'il n'utilise pas la ficelle éculée de la romance, histoire de marquer un peu plus son originalité. Cette dernière se manifeste par un ajout qui vient rompre avec les modèles d'inspiration suspectés, avec l'idée toute simple mais lourde de conséquences de l'imbrication des rêves, comme évoqué plus haut. Une fois le monde dédoublé, pourquoi ne pas encore le multiplier à son tour ? Rien ne l'empêche, et Nolan le démontre avec un brio monstre, tout en apportant une profondeur spectaculaire au concept. Alors que l'on pourrait croire à une sorte de télépathie moderne, il n'en est rien, et il faudra ruser avec la personnalité du sujet pour parvenir à ses fins. Et le problème des réalités multiples n'épargne personne, même les principaux acteurs. Pour remédier à cette angoisse permanente, un stratagème tout simple permet de vérifier que la physique n'est pas altérée, et que l'on évolue dans la réalité. Un détail donc, mais dont l'accumulation nous fait ressentir la finition impeccable. Parmi les trouvailles de premier plan, on retiendra également les jeux visuels, qui témoignent une fois de plus de l'inventivité de Nolan. Et plus généralement, il faut louer la remarquable utilisation des effets spéciaux, qui nous en mettent plein les mirettes sans jamais tomber dans une débauche inutile, comme lorsqu'il s'agit de démontrer la qualité d'un bon Architecte.
Nolan a commencé à travailler sur le scénario d'Inception il y a près de 10 ans. Un projet ambitieux, dont l'action se déroule à Tokyo, Londres, Paris, Tanger, au Canada et à Los Angeles. Un choix pas anodin puisque le réalisateur est un fan des films d'action à la James Bond. Cette influence se retrouve dans l'un des niveaux de rêve du film, une course-poursuite à skis dans l'inconscient de... mais chut. Lorsqu'il a enfin pu mettre en chantier ce projet, il s'est attaché les services d'un casting de choix. En premier lieu Leonardo DiCaprio, qu'on ne présente plus, et qui a désormais tourné avec la plupart des meilleurs metteurs en scène, de Spielberg à Ridley Scott en passant par Sam Mendes ou Scorsese, sans oublier Danny Boyle et Cameron. Ridley Scott qu'il va d'ailleurs retrouver l'an prochain pour une adaptation attendue du Meilleur des Mondes. A côté de l'acteur principal, monstrueux de retenue, on trouve Michael Caine et Cillian Murphy, piliers des deux Batman de Nolan, la jeune et très douée Ellen Page (Juno), Ken Watanabe, qui joue dans toutes les grosses productions américaines mettant en scène un Japonais ou encore Joseph Gordon-Levitt, qui s'est surtout distingué à la télévision. Une distribution au diapason, impeccable dans son ensemble, y compris Marion Cotillard, dans le rôle ambigu de la femme de Cobb.
L'intertexte d'Inception est presque aussi complexe que son synopsis. Nous avons un homme déstructuré, qui s'enfonce dans son métier aliénant mais qui cherche aussi à retrouver sa vie, ses valeurs. Un film de casse, avec beaucoup d’action, où un groupe de complices (dont certains nouveaux) essaient d'infiltrer une personne, tout en luttant contre les défenses que celui-ci a mis en place ; sur ce plan, ça ressemble un peu à Mission impossible (la série). Les protagonistes se retrouvent dans des dimensions parallèles, celles du rêve, ou plutôt DES rêveS, puisque Cobb et son équipe décident d'imbriquer deux autres niveaux de rêve au premier dans lequel ils plongent le jeune Fischer. A chaque niveau l'un des "voleurs" se retrouve en position de "gardien", chargé de veiller au bon déroulement du processus tout en devant repousser la sécurité onirique armée. Ainsi à un moment du film on se retrouve sur plusieurs niveaux de "réalité onirique", dans des situations critiques, et Nolan joue à saute-mouton à chacune d'entre elles. Exercice casse-gueule, mais la virtuosité narrative du réalisateur (qui a aussi écrit le script) lui permet de se sortir sans encombre de cette haute voltige. C'est la productrice du film, Emma Thomas, qui a su le mieux définir le long métrage : un film de braquage sur un fond fantasmagorique. En fait le climax du film tient en quelques secondes dans le premier niveau de rêve, le temps d’une chute, durée décuplée à chaque niveau inférieur. Une déclinaison vertigineuse.
L'histoire ne s'embarrasse pas de termes techniques, se concentrant sur l'action, qui devient vite omniprésente, après une période d'exposition des enjeux et de recrutement de l'équipe de Cobb. Très vite également les mouvements de caméra, extrêmement efficaces, portés par le score addictif de Hans Zimmer embarquent le spectateur dans une expérience inouïe depuis Matrix. La comparaison est inévitable, non seulement pour les raisons déjà invoquées, mais aussi parce que l'on a également dans le film de Nolan une scène de combat en apesanteur. Cette apesanteur, si elle se justifie dans le premier niveau de rêve, est pourtant absente des niveaux inférieurs. Il y a là, peut-être, la seule faille narrative du film de Nolan. Car pour peu que l'on adhère au sujet, c'est imparable. Le film produit des effets quasi hypnotiques, pouvant amener certains spectateurs à avoir du mal à se « reconnecter » à la réalité. A une époque où les mondes virtuels sont montrés du doigt au sujet de l’aliénation de la population, Inception se place en tête de pont, même si le sujet de l’aliénation elle-même est au cœur du film.
La dernière séquence du film laisse la porte ouverte à diverses interprétations. Cela va laisser beaucoup de spectateurs perplexes, voire déçus. Mais on retrouve la patte de Nolan, qui aime laisser les gens sur une interrogation. Et si l’on va faire un petit tour sur Internet, on trouve déjà tout un tas de théories. Posez-vous par exemple la question de la parenté entre un morceau de musique très connu qui tient une place importante dans le film, et le thème principal, qui ouvre et referme le long métrage. D’autres questionnements, relatifs à la place du rêve dans le film, se font jour également, mais ce serait faire des spoilers à la chaîne que d’en parler. D’autant plus que le montage laisse peu de temps à la réflexion, on peut vite être perdu dans les différents niveaux de « réalité ».
L'ensemble du film est donc réalisé d'une façon techniquement incroyable, et certains pourraient avoir l'impression de retrouver le Spielberg de Minority Report, pour donner un exemple relativement proche. Christopher Nolan est tout simplement l’un des réalisateurs les plus doués à l'heure actuelle, il est à la place que l'on promettait à M. Night Shyamalan il y a une dizaine d'années. Espérons qu'à l'instar du réalisateur américain d'origine indienne, l'Anglais ne se brûlera pas les ailes dans des projets boursouflés.
Pour un univers riche basé sur un concept imparable -la richesse de l'imagination humaine-, il fallait un réalisateur et un scénariste visionnaire. Christopher Nolan est de cette trempe.
Pour ces raisons, Inception mérite bien un second visionnage, ne serait-ce que pour être certain d'avoir saisi toutes les idées évoquées, et saisir les multiples possibilités offertes par le scénario. Par les temps qui courent, il est d'autant plus rare et précieux de trouver un blockbuster de cette trempe, qui n'hésite pas à faire cogiter le spectateur. La question suprême que se pose donc Nolan, à travers Inception, est celle du rêve ultime, et du Premier Architecte.
Chef d'oeuvre en puissance, film déjà culte... voici un panel d'expressions sans une once d'originalité, mais qui élèvent ce long-métrage au rang qui lui échoie : celui d'un spectacle grandiose réussi de bout en bout. Chapeau bas l'artiste.
GiZeus et Spooky.