Simon Sanahujas et Gwenn Dubourthoumieu sont deux jeunes qui n'en veulent. Respectivement écrivain et photogrpahe, ils ont décidé il y a quelques années de se lancer dans un pari éditorial osé : partir sur les traces de personnages de fiction, sur des lieux géographiques où ils ont censés avoir vécu, être passés... Après s'être intéressés à Conan le Texan en 2008 (!), puis être partis sur la piste de Tarzan au Gabon en 2010, c'est, à l'instar des compagnons de Mina Harker, sur les traces du Comte Dracula (celui de Stoker, bien sûr) qu'ils se sont lancés, d'abord en Roumanie, puis en Angleterre.
C'est dans le froid de l'hiver que ces deux jeunes fous ont commencé leur périple. L'un d'eux fortement handicapé dès le départ par des maux de dos, c'est avec une Dacia qu'ils sont montés à l'assaut des Carpathes, qui à la recherche du fmeux château, qui sur les traces de l’école de magie noire de Scholomance. Le résultat est un road-movie plutôt prenant, au ton humoristique mais nullement condescendant envers la population locale. On sent que les deux compères commencent à prendre de la bouteille dans leur façon de traiter leur périple, ménageant du suspense, émaillant leur récit de clins d'oeil bienvenus. La lettre au consul de Grande-Bretagne, pour lui demander la localisation des locaux de sa délégation en 1885, par exemple, est très drôle.
Mais me direz-vous, rechercher la trace d'un personnage de fiction, c'est un peu enculer les mouches, non ? Eh bien que nenni, car dans ce cas précis, Dracula est inspiré, au cas où vous l'ignoriez, d'un personnage historique réel, une figure marquante de l'histoire de la Roumanie qui plus est. Au XVème siècle, un Voïvode valaque (une sorte de comte, donc) s'illustra par ses efforts presque miraculeux afin de repousser l'envahisseur ottoman, tout en étant suspecté d'avoir commis de nombreuses exactions sur ses administrés... Laquelle réputation repose en fait sur une sorte de pamphlet de l'époque, alors que tous les autres témoignages penchent en la faveur d'un monarque juste et respecté... Gwenn et Simon (oui, je les appelle par leur prénom, figurez-vous que je les ai rencontrés au Salon du vampire) sont donc également allés sur les traces de ce personnage haut en couleurs, largement utilisé dans l'industrie touristique roumaine, et automatiquement ou presque associé à son double sanguinaire de papier...
Il faut toutefois souligner la grande véracité des lieux décrits dans Dracula. Les deux auteurs sont surpris par ces concordances, car certains endroits n'ont pas trop changé par rapport à ce qui est décrit dans le roman ; il faut croire que Stoker disposait d'une bonne documentation.
C'est une Roumanie chaleureuse mais un peu soumise aux clichés qu'abandonnent les deux compères qui se rendent à Londres, où Jonathan Harker retrouve sa fiancée Mina et le comte Dracula après son retour laborieux des Carpathes. Ils sont aidés par André-François Ruaud, leur éditeur mais aussi et surtout essayiste, en particulier sur le personnage créé par Stoker, comme en témoigne son ouvrage Les Nombreuses vies de Dracula, coécrit avec Isabelle Ballester en 2008 (lui aussi chez les Moutons électriques). Dans la capitale britannique les recherches se révèlent plus ardues, les conclusions plus difficiles. Seul le cimetière de Highgate semble correspondre à l'Hampstead du roman. Il faut dire que cet endroit a été le siège de fantasmes de nombre de romanciers et de cinéastes. Deux explications ont la faveur des analystes pour expliquer ce flou : soit Stoker n'a pas aimé Londres, lui qui s'en faisait tout un film depuis son Irlande natale ; soit il ne souhaitait pas faire de "publicité" aux lieux décrits à l'époque, ce qui est très probable.
Quoi qu'il en soit, c'est à Whitby, port côtier aux confins de l'Angleterre et de l'Ecosse, côté mer du Nord, que nos deux compères ont connu la meilleure période de leu voyage : une ville charmante, où flotte une atmosphère fantastique mais chaleureuse. Une ville où un évènement similaire, quelques années plus tôt, inspira à Stoker sa fameuse scène d'échouage du Demeter, au cours de laquelle Dracula s'échappa du navire sous forme de loup.
L'ouvrage se clôt par la description de deux "fêtes" gothiques dans des hauts lieux du genre à paris (dont un où je suis allé, marrant), où Gwenn et Simon rencontrent un homme prétendant être Dracula, où ils apprennent que d'étranges rumeurs circulent sur l'emplacement de la sépulture du vrai personnage historique (à paris, pour ne rien vous cacher)... Troublant.
Au final c'est un ouvrage magnifique, à la maquette soignée, qui permet d'en savoir plus sur les connexions entre le personnage de fiction et la figure historique qui l'a inspiré. Son seul défaut à mon goût est sa densité. Certes, de magnifiques photos, très diversifiées, ponctuent les journaux des deux reporters, mais j'aurais apprécié un peu plus de respiration dans le texte, qui souvent se présente sous forme de paragraphes collés les uns aux autres. Ceci dit, rien n'empêche le lecteur de couper sa découverte en plusieurs sessions, pour ne plus avoir cette sensation de densité, et apprécier à sa juste valeur ce bel ouvrage.
Vous trouverez des bonus sur le blog qui est consacré à ce projet.
Spooky.