Déjà présente dans l’art pariétal des hommes de la préhistoire, on trouve dès 1638, dans L’Homme dans la Lune, de Francis Godwin, le souci de l’Homme d’aller vers le premier astre visible, qui a déclenché les plus vifs fantasmes depuis L’Histoire véritable de Lucien de Samosate (IIème siècle de notre ère).
Mais l’acte de naissance «officiel» du genre date de 1818, lorsque la poétesse anglaise Mary Shelley composa son Frankenstein ou le Prométhée moderne ; cette histoire d’un médecin suisse qui crée un homme à partir de tissus prélevés sur des cadavres va déclencher l’arrivée massive de récits prenant appui sur des faits scientifiques.
L’origine même de cette œuvre reste obscure : résultat d’un pari entre intellectuels, cauchemar terrifiant de l’auteur, roman écrit en réaction au courant gothique alors en vogue ?
Les progrès techniques dus à la Révolution industrielle vont permettre ce genre de production littéraire. Les deux auteurs majeurs de la fin du XIXème siècle seront le Français Jules Verne et l’Anglais Herbert George Wells.
Le premier, au travers de ses Voyages extraordinaires dans les mondes connus et inconnus, s’attachera à décrire les conquêtes de la science. Ses romans les plus intéressants restent Vingt mille lieues sous les mers, De la Terre à la Lune (1865), ou encore Voyage au Centre de la Terre (1864), des modèles d’anticipation scientifique, selon l’expression de l’auteur.
A cette rationalité répond la portée philosophique de H. G. Wells ; il interroge la société sur l’impact des avancées techniques sur le quotidien et le contexte social de ses contemporains. A ce titre, L’Homme invisible (1897) ou La Guerre des mondes (1898) sont de grands textes.
Au début du XXème siècle, les sciences et les techniques sont à la mode. Le développement des modes de transport facilite l’évasion et l’exploration des terres inconnues. Le faible prix du papier permet la multiplication des pulps, revues bon marché et de petit format de l’autre côté de l’Atlantique, qui vont publier des récits d’inconnus mêlant poésie, merveilleux, voyages et aventure.
J. H. Rosny Aîné, auteur de La Guerre du Feu (1909) et La mort de la Terre (1910), est l’auteur français le plus intéressant de cette période.
Côté anglo-saxon, les auteurs s’attachent plus à une vision pessimiste de futurs dominés par la technologie, pour notre plus grand malheur. George Orwell, avec son «Big Brother is watching you» de 1984 (1949) et Aldous Huxley avec Le Meilleur des mondes (1932) se posent surtout comme des porte-paroles de propagande antitotalitaire.
Le film Metropolis (1926), de l’Allemand Fritz Lang, se rattache à ce courant. Les années 1930 sont riches de films reprenant les grands mythes littéraires : Frankenstein (Whale, 1931), Dr Jekyll and Mr Hyde (Mamoulian, 1932), L’homme invisible (Whale, 1933).
Dans l’intervalle, Hugo Gernsback, éditeur de la revue Amazing Stories (créée en 1926), contribue à promouvoir la SF ; il inventa le terme de scientifiction pour synthétiser tous ces concepts.
Dans les années 50, le Prix Hugo sera créé par la profession des auteurs et éditeurs pour récompenser les meilleures oeuvres du genre (par réaction, les fans vont créer le prix Apollo). Le développement des pulps va permettre aux lecteurs de s’exprimer ; ce mouvement sera appelé fandom ; il sera à l’origine de réunions de fans, appelées conventions, qui sont aujourd’hui de grandes messes autant que des rendez-vous incontournables pour les auteurs qui veulent rester proches de leur lectorat.
Le second âge d’or de la SF au cinéma correspond à cette période, dont l’atmosphère est rendue lourde par la Guerre Froide. La vague des soucoupes volantes (Le Météore de la nuit, La Guerre des mondes, L’Invasion des profanateurs de sépultures, Planète interdite...) déferle alors sur les écrans.
C’est l’apogée des space opera grandioses, mais aussi de l’heroic fantasy, où des héros musclés luttent contre des forces occultes omnipotentes. Ce mouvement a été initié par Le Seigneur des Anneaux (Tolkien, 1954-1955, à noter que ce roman a été élu «Roman du siècle») et la série des Conan de Robert E. Howard (à partir de 1925).
Quel est l’âge d’or de la science-fiction ? Quatorze ans, répondit un jour Isaac Asimov. Les années 40-50, c’était l’âge d’or de la SF.
Les années 60 et 70 sont marqués par la Guerre Froide et le Vietnam. Les auteurs tournent résolument le dos au Sense of Wonder qui guidait les oeuvres auparavant. Un auteur comme Philip K. Dick est le plus représentatif de cette période. Centrée sur l’exploration des univers intérieurs de ses héros, son œuvre (Ubik, Le Dieu venu du Centaure) est profondément désespérée.
Le libéralisme triomphant est retourné systématiquement, procurant une atmosphère sombre et pessimiste aux productions de cette période.
Un autre mouvement, la new wave, cherche d’autres voies au travers d’une esthétisation, d’une expérimentation de l’écriture. Michael Moorcock, rédacteur en chef de la revue anglaise New Worlds, et J. G. Ballard sont les portes-drapeaux de cette génération. Le roman le plus marquant est Jack Barron ou l’éternité (1967), de Norman Spinrad, qui dénonce le pouvoir accru des médias et la prédominance de l’argent.
Le quotidien est source de malheur, de névrose, de déchéance. Le manifeste officieux de cette vision est le recueil Dangereuses visions (1967) coordonné par Harlan Ellison, où est utilisé le terme de speculative fiction. Véritable révolution, le livre ira même jusqu'à secouer la Chambre des communes britannique.
Stanley Kubrick lâche en 1968 une bombe dans le morne paysage du cinéma de SF : 2001, l’Odyssée de l’espace (adaptation d’une nouvelle d’Arthur C. Clarke) est une fable métaphysique aux ambitions messianiques ; le film inaugure l’ère de la SF «adulte». Kubrick recommencera 3 ans plus tard avec Orange mécanique, monument de réflexion sur le libre arbitre et ses limites.
En 1977 renaît le genre du space opera, où de grands vaisseaux fendent l’espace pour guerroyer dans des mondes très éloignés, grâce au film Star Wars : A New Hope de George Lucas. D’abord uni par une seule langue et une seule culture (comme dans Fondation, d’Isaac Asimov), l’univers est une mosaïque de cultures différentes, en butte à des luttes de pouvoirs (La Stratégie Ender, d’Orson Scott Card, en 1977, et Hypérion, de Dan Simmons, en 1990, sont des modèles de constructions de mondes entiers).
A côté de ces démiurges apparaît au milieu des années 80 une nouvelle tendance, qui s’appuie sur les progrès fulgurants des technologies numériques et optiques. C’est le cyberpunk, initié par Neuromancien, écrit par William Gibson en 1984. Ces techniques sont intégrées à la vie courante, et les héros sont des marginaux qui luttent contre les multinationales. Les films Total Recall (Verhoeven, 1990) et Matrix (Wachowski, 1998) rejoignent cette vision désenchantée.
Forts de toutes ces brèches ouvertes par les Anglo-saxons, les auteurs européens font leur apparition sur le marché global de l’édition de SF.
En France, Pierre Bordage réinvente le roman épique (Les Guerriers du silence, 1995), tandis que l’Allemand Andreas Eschbach se lance dans le space opera politique avec Des Milliards de tapis de cheveux (1995). L’Italien Valerio Evangelisti, avec les aventures de l’Inquisiteur Nicolas Eymerich (depuis 1993), mélange avec un talent fou les genres.
La dystopie, en déclin depuis de nombreuses années, retrouve un seconde souffle avec des auteurs aussi brillants que Gregory Benford (Un paysage du temps, 1980), Greg Bear (Eternité, 1988) ou David Brin (Marée stellaire, 1983), surnommés les Three B.
Parti de presque rien, le Français Bernard Werber mêle réflexion philosophique, entomologie et speculative fiction dans sa trilogie des Fourmis (1993-1997), grand succès public.
La science-fiction est plus qu’un genre artistique basé sur les fantaisies de savants fous.
C’est aussi et surtout une lame de fond qui interroge l’homme sur sa place dans l’univers et sur son époque, suscitant parfois les plus vives polémiques.
Spooky