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...:::Ansible:::...

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Tous les territoires de l'imaginaire, en vitesse supra-luminique. Chroniques sur le cinéma, la littérature, les jeux, séries TV, bandes dessinées.

Publié le par Spooky
Publié dans : #Livres

 

Il y a quelques jours nous commémorions les 41 ans de la disparition de John Ronald Reuel Tolkien. L'auteur du Hobbit et du Seigneur des Anneaux a entretenu, tout au long de sa vie d'adulte, une correspondance très importante. Que ce soit auprès de ses proches (sa future femme, ses enfants, ses amis), de ses lecteurs ou de ses relations de travail (professeurs de philologie, éditeurs...). Avec l'aide d'Humphrey Carpenter, biographe officiel de son père, Christopher Tolkien a rendu publique une partie de cette oeuvre épistolaire dense en 1981. C'est seulement en 2005 que les éditions Bourgois ont traduit cette somme, et qu'en 2013 que les Editions Pocket en proposent une version poche, lue ici.

 

Je ne vais bien sûr pas vous parler en détail des quelques 350 lettres réparties sur les 800 et quelques pages, mais dégager quelques tendances et quelques points forts. Il y a -et c'est normal- peu de missives à caractère confidentiel ou intime, même si pendant la seconde guerre Tolkien a beaucoup écrit à son fils Christopher, mobilisé et muté en Afrique du Sud, ou lui-même avait vu le jour. Outre le fait que le jeune homme manquait beaucoup à son père, c'est aussi une correspondance de travail, puisque Chris était devenu, avant de faire son service militaire, le secrétaire et l'assistant de son père, notamment en dessinant la carte de la Terre du Milieu qui devait accompagner l'édition du Seigneur des Anneaux alors en cours de rédaction. La majeure partie des Lettres concerne en effet sa création littéraire, entamée dans les années 1910 par des poèmes, et qui se continuera toute sa vie, avec seulement deux romans publiés de son vivant, le Hobbit et le Seigneur des Anneaux.

 

Les échanges épistolaires avec ses éditeurs révèlent un homme fort humble, disposé -du moins à ses débuts- à se plier à toute demande de ceux-ci, mais aussi fort soucieux de la réception de ses écrits par ses primo-lecteurs, parmi lesquels, outre son fils Christopher et l'ami écrivain C.S. Lewis, se trouve Rayner Unwin, le fils de son éditeur d'alors. C'est lui qui "lit", au sens éditorial du terme Le Hobbit, et c'est lui qui pousse son père à la publier, avec enthousiasme. Il y a aussi un côté un peu auto-apitoiement, Tolkien parlant régulièrement de ses soucis de santé, qui ont l'air nombreux dans les années 1940. L'une des raisons pour lesquelles, en plus de son travail d'enseignant dans différentes universités, l'organisation de la défense passive dans sa région et une vie de famille fort remplie avec quatre enfants, la rédaction du Seigneur des Anneaux prend autant de temps. Rappelons qu'il y a travaillé de 1937 à 1950, par intermittences, et parfois rattrapé par la lassitude devant l'énormité de la tâche. Tolkien le dit lui-même dans une de ses lettres : "J'ai créé un monstre" ; c'est à dire une oeuvre qui échappe à son créateur, qui l'a emmené sur des chemins non prévus au départ, et dont le succès, foudroyant, va le surprendre. Car comme il le dit lui-même, c'était avant tout pour lui qu'il avait créé cet univers, en partant de diverses langues, puis en imaginant les légendes qui pourraient illustrer ces langues...

 

Entre les lignes, on s'aperçoit que le Professeur a une sainte horreur (en vrac) des machines, de la guerre (dont le SdA n'est PAS une allégorie, même si l'atmosphère a dû influer sur son écriture), de la France, ou plutôt de la langue française, de Shakespeare...

 

L'un des aspects les plus étonnants de son oeuvre est l'absence de cultes dans celle-ci, alors que lui-même est un fervent catholique. A ceux qui lui posent la question, il répond que l'élément religieux est absorbé dans l'histoire et dans le symbolisme. Comment, en effet, ne pas voir une figure christique en Aragorn, capable -entre autres- de guérir par simple imposition des mains ? La question des traditions maritales chez les Hobbits est également évoquée, et on sent Tolkien TRES investi sur la question.

 

On sent parfois, au travers des lettres, quelques regrets par rapport au Hobbit, lequel, s'il devait le réécrire, serait très différent, surtout dans sa première partie, laquelle serait moins axée "roman pour enfants".

 

Il y a des lettres qui sortent du lot ; comme celle où il explique à son fils les femmes, de façon très elliptique, sachant que Tolkien était pénétré de la religion catholique. Celle où il répond sèchement à un éditeur allemand -envisageant de publier une traduction du Hobbit- qui lui demandait s'il avait des origines aryennes (nous sommes en 1938, et le nom Tolkien est d'origine allemande) ; le ton de l'écrivain reste courtois, mais ne suffit pas à cacher la colère de l'auteur, qui termine par quelque chose qui signifie "Allez vous faire foutre, bisous". Je pense aussi à cette très longue lettre de 1950, adressée à Milton Waldman, son nouvel éditeur, dans laquelle Tolkien détaille sa cosmogonie et la chronologie de son Legendarium, Age par Age. Une lettre qui comporte plus de 10 000 mots... Parlons aussi de cette lettre non datée, mais probablement écrite en juin 1958, où Tolkien détaille les différents défauts inclus dans un scénario de cinéma qui lui avait été envoyé à l'époque par Forrest J. Ackerman, qui souhaitait adapter le Seigneur des Anneaux en long métrage animé. Le moins que l'on puisse dire est que Zimmermann, auteur du script, en a pris pour son grade, entre les contractions temporelles et géographiques, les libertés non-sensiques prises avec le récit original, et le tour ridicule que prennent les personnages. Tolkien reste poli, mais on le sent fortement bouillir face à une telle hérésie. Il déclare même à plusieurs reprises être plus favorable à des coupures nettes de certaines scènes plutôt qu'à des traitements aussi indignes. L'édition en poche du Hobbit chez Puffin Books fin 1961 a réveillé aussi sa fureur, avec des "corrections" opérées sur son texte. Il y a aussi cette lettre à un Monsieur Gamgee, surpris de voir son homonyme dans une oeuvre au succès public retentissant, et auquel Tolkien répond au sujet des origines du nom de son personnage.

 

Une partie de la correspondance traite de la disparition de CS Lewis, survenue en fin d'année 1963. L'occasion pour Tolkien, à la demande de ses enfants, d'éditeurs ou de lecteurs, d'évoquer son amitié passée avec l'auteur de Narnia, et le fait qu'ils se soient éloignés l'un de l'autre pendant la décennie suivante. Une époque où, après la série tragique de la première Guerre Mondiale, le Professeur commence à pardre certains de ses amis et connaissances.

 

Vers les années 1965-67, Tolkien doit dépenser beaucoup d'énergie et de temps à faire interdire une version pirate de Bilbo le Hobbit, publiée aux Etats-Unis par Ace Books. Libéré de ses obligations professsionnelles, mais ralenti par des soucis de santé (et ceux de sa femme), l'auteur souhaitait alors consacrer le plus de temps possible à la rédaction et à la remise en ordre du Silmarillion, dont l'écriture avait débuté 50 ans plus tôt. C'est à cette époque aussi qu'il apprend la création d'une Tolkien Society à New York. D'abord méfiant et limite vindicatif, il se ravise et propose même son humble concours à l'aréopage de fans après la lettre fort respectueuse de son responsable. Sa correspondance se ressent de ces différents ennuis et obligations ; les lettres sont très courtes, toujours courtoises en général. A cette époque également, il en a marre d'être constamment appelé, dérangé par les fans -auxquels il répond toujours poliment-, et s'apprête à déménager ailleurs, vers Bournemouth (côte sud de l'Angleterre), autant pour des raisons économiques que sanitaires. Ce qui ne l'empêchait pas, à plus de 80 ans, de répondre de façon circonstanciée sur les langues elfiques, à des fans l'interrogeant à ce sujet.

 

Lorsqu'Edith, son épouse adorée, décède en 1972, Tolkien est inconsolable -et le restera jusqu'à sa propre fin, 18 mois plus tard. Il est alors dans une telle détresse matérielle et morale que Rayner Unwin, son premier lecteur "professionnel" et devenu entretemps le président de la société d'édition Allen & Unwin, se débrouille pour lui trouver un appartement à Oxford par le biais de l'université où le Professeur avait entretemps reçu toutes les distinctions possibles. C'est pourtant à Bournemouth, où le couple Tolkien aimait à venir se reposer, qu'il décèdera, en septembre 1973. Il pourra reposer à Oxford, auprès d'Edith, sa Luthien, lui qui se voyait comme Beren. Les deux patronymes sont d'ailleurs présents sur leurs pierres tombales respectives.

 

Photo © Tolkiendil.com

 

Qui dit oeuvre -consciente ou pas- de Tolkien, dit notes de bas de page à foison. Le Professeur en parsème ses missives, lesquelles sont aussi, dans ce recueil, émaillées de notes des traducteurs et de l'éditeur -en l'occurrence son fils et Humphrey Carpenter. Les lettres comportent 800 pages, mais le volume émarge à plus de 950 en version poche... Et qui dit oeuvre de Tolkien dit ébauches, travail jamais terminé. Ainsi certaines lettres sont restées à l'état de brouillons, et n'ont jamais été envoyées à leurs destinataires...

 

Au final, cette (longue) lecture m'a permis d'en apprendre encore un peu plus sur l'oeuvre de mon auteur préféré, de rentrer un peu dans son intimité, de comprendre le processus de création, mais aussi de préservation de l'identité de son oeuvre. D'en savoir un peu plus sur sa vie, en résonance avec la biographie écrite par Humphrey Carpenter, bien sûr. Bref, un très bon moment.

 

Spooky

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