Voilà un étrange roman...
Cela débute un peu comme un roman initatique, avec l'histoire de Simon, 25 ans, français adopté en Colombie, qui décide sur un coup de tête de partir à la recherche de ses origines pour y trouver un destin hors du commun. Une seconde partie nous met sur les traces du lieutenant-général Quesada, officier espagnol parti conquérir un empire, celui des Muiscas, dans les années 1540, dans des contrées qui deviendront plus tard la Colombie. Quant à la troisième partie, c'est elle qui jette le trouble chez le lecteur, puisque nous sommes à une époque contemporaine, mais que les pays, les institutions ne sont pas les mêmes, alors que cette société est elle aussi héritée de l'empire chibcha, dont l'ethnie muisca fait partie...
Trois parties distinctes donc, où, vous l'aurez peut-être compris, l'auteur joue le jeu délicat de l'uchronie et du paradoxe temporel. Car oui [SPOILER], la première et la troisième sont clairement deux orientations différentes d'une même histoire, deux conséquences possibles d'un évènement qui eut lieu au creux de l'Amérique latine dans les années 1540.[/FIN SPOILER]
Eric Holstein a une plume très agréable. La première partie, contemporaine, nous emmène dans une Bogota très évocatrice, peuplée de mille détails visuels, sonores et olfactifs, sur les pas d'un jeune homme un peu perdu à la recherche de son passé. Au passage Holstein a su s'emparer du sujet délicat de l'adoption (internationale) de façon aussi sobre que bien informée, au point que je me suis demandé si ce n'était pas simplement un pan de sa vie qu'il nous racontait... Un grand bravo donc pour cette partie, réellement très réussie.
L'entame de la deuxième m'avait un peu désarçonné, avec son vocabulaire qui, s'il est adapté à l'époque dépeinte (le XVIème siècle, je le rappelle), n'en était pas moins un peu chaotique. mais au bout de quelques pages l'auteur rectifie le tir, s'attachant plus à décrire l'atmosphère et les paysages que traversent ces Conquistadores dans un pays hostile. L'immersion est presque totale par moments, et je me suis pris au jeu, me demandant comment ces deux parties pouvaient s'articuler. A noter que le livre tourne autour de la légende d'El Dorado, celle d'un roi chibcha, surnommé Zipa, qui se faisait recouvrir de poudre d'or (adhérant à sa peau grâce à une résine spéciale) qui se faisait immerger dans une lagune penddant que ses sujets jetaient ors et bijoux dans cette même étendue d'eau. Une légende qui a fasciné chercheurs, historiens et auteurs...
Et puis la troisième partie, elle aussi écrite sur un ton moderne, accentue le caractère d'étrangeté de l'ensemble, il m'a fallu un peu de temps pour comprendre que le lien entre les trois parties était sous-jacent, mais complètement intime. L'articulation dans cette partie se fait grâce à un bouquin, un paradoxe temporel qui m'a rappelé un peu les ressorts du formidable roman d'Andreas Eschbach Jesus video (tiens, il faudrait que je retrouve la chronique que j'avais écrite à l'époque).
A son exercice -assez brillant par encroits-, Holstein a rajouté, via des annexes, quelques éléments donnant des clés de lecture. D'abord un article issu de la revue Histoire qui amorce le "et si..." qui sous-tend toute une partie du roman, mais aussi un lexique permettant de comprendre un certain nombre de termes muiscas, que Holstein utilise massivement. Une bibliographie, de Bolivar à Clara Rojas (oui, la secrétaire d'Ingrid Bétancourt), ainsi qu'un site-projet d'étudiants ayant tenté de reconstituer le vocabulaire muisca.
Un bouquin un peu inattendu, aux atmosphères réussies, qui mérite une belle exposition.
Spooky.