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Tous les territoires de l'imaginaire, en vitesse supra-luminique. Chroniques sur le cinéma, la littérature, les jeux, séries TV, bandes dessinées.

Publié le par Spooky
Publié dans : #Livres
 

 

La vie de JRR Tolkien fut longue (plus de 80 ans) et riche. L’essayiste John Garth s’est plus particulièrement intéressé à un épisode particulier de celle-ci, la première guerre mondiale, à laquelle il a participé. Nous « fêtons » cette année le centenaire du déclenchement du premier conflit moderne ; l’éditeur Christian Bourgois a donc publié l’ouvrage de référence sur cette période.

 

Lorsque la guerre éclate, en 1914, Tolkien a 22 ans et est étudiant à Oxford. Sa vie venait de prendre un tournant tout à fait intéressant, car malgré ses résultats universitaires relativement médiocres, il avait fondé, avec trois autres camarades, une sorte de club de réflexion artistique et philosophique, appelé le TCBS (Tea Club and Barrovian Society). Outre Tolkien, ce club compta dans ses fondateurs Christopher Luke Wiseman, Robert Quilter Gilson et Geoffrey Bache Smith. Seuls les deux premiers ont survécu au conflit. C’est leur histoire au cours de celui-ci qui nous est contée ici. Au passage, comme l'ont remarqué certains observateurs, ces quatre amis sont un peu comme les quatre Hobbits qui partent ensemble au début du Seigneur des Anneaux, partant pour une aventure dans l'inconnu, dont ils sont loin de mesurer les conséquences...

 

Ils ne voulaient pas y aller. Bien à l’aise dans leurs costumes d’étudiants semi-oisifs, et en pleine phase de construction de leurs œuvres respectives (surtout Tolkien et Smith), les TCBSiens n’étaient pas prêts à aller au Front. Qui l’est, d’ailleurs ? Après avoir fait ses classes de sous-officier affecté aux signaux, Tolkien arrive en France en juin 1916. Il s’est entre-temps marié à Edith Bratt, son amour d’adolescence. Le 11 juillet la bataille de la Somme, à laquelle prend part le 11ème régiment des Lancashire Fusiliers, commence. Au mois d’octobre, souffrant de la fièvre des tranchées (un virus transmis par des poux, qui pullulaient sur place), il est rapatrié en Angleterre, puis va d’un hôpital à un camp militaire. Entretemps son épouse connaîtra plus de 20 domiciles différents, une mobilité due aux aléas économiques et aux déplacements de Tolkien.

 

C’est pourtant pendant ces heures sombres qu’il élabore les bases de son Légendaire. Avant la guerre celui-ci ne comprenait que le lexique d’une langue inventée, le qenya, ainsi qu’un ou deux poèmes notables. A la fin de la Guerre plusieurs textes majeurs, comme La Chute de Gondolin ou l’histoire de Turin Turambar (qui seront plus tard inclus dans les Contes et légendes inachevés ou Le Silmarillion) viennent déjà étayer ce qui constituera l’un des univers romanesques les plus riches de l’histoire de la littérature mondiale. C’est au travers de la correspondance de Tolkien (déjà abondante à l’époque), mais aussi celle de ses amis et de divers registres universitaires et militaires que John Garth a pu reconstituer la chronologie des évènements.

 

Au-delà du simple aspect chronologique, Garth s’attache également, en filigrane puis de manière plus poussée en fin d’ouvrage, à analyser les origines et les motifs de ces prémices. La Chute de Gondolin, par exemple, semble directement, au moins dans sa seconde partie, inspirée de son expérience de la bataille de la Somme. A certains égards, le Melko (appelé plus tard Melkor et Morgoth) présent dans ses poèmes de jeunesse, préfigure certains dictateurs célèbres du XXème siècle. Le conte de Beren et Tinuviel (plus tard rebaptiése Luthien) comporte pour la première fois un motif qui deviendra prépondérant chez Tolkien : le fait que le destin du monde n’est pas entre les mains des seigneurs, des puissants, mais bel et bien entre celles des humbles, des inconnus. Le Conte de Turambar est empreinte de naturalisme, c’est une ode humaine à la nature, face aux machines. Pour John Garth l’existence des Elfes, qui ne vieillissent jamais, dans l’œuvre tolkienienne, semble être une sorte d’hommage à tous ces jeunes gens fauchés dans la fleur de l’âge pendant la guerre. Des jeunes hommes qui auront pour l’éternité 18, 20, 25 ou 30 ans…

 

Se croyant plus ou moins immortels, car ayant –toujours selon eux- reçu un don, une étincelle leur permettant de changer le monde, d’y laisser leur empreinte, les membres du TCBS ont été presque anéantis par la perte de deux des leurs. Oui, en effet, la guerre n’était pas vraiment une menace pour eux, jusqu’à ce qu’ils se retrouvent en première ligne… En 1940, alors qu’un nouveau conflit de grande ampleur s'annonçait et que son fils Christopher venait d’être appelé à y participer (ou allait être appelé), Tolkien eut ces mots : « Etre emporté en pleine jeunesse par 1914 n’a pas été une expérience moins abominable qu’en 1939… en 1918, tous mes amis proches, sauf un, étaient morts. »

 

Garth fait d’ailleurs remarquer que le peu d’autobiographie présent dans ces écrits de jeunesse a en grande partie été gommé par les réécritures ultérieures. En 1939 le Hobbit était en pleine révision, et Le Seigneur des Anneaux à l’état d’ébauche. John Ronald Reuel Tolkien, qu’on le veuille ou non, et qu’il l’ait reconnu lui-même ou pas, a vécu l’horreur de la guerre, et ses écrits s’en ressentent.

 

L'ouvrage de John Garth a été salué et bien perçu par la critique anglo-saxonne, car il a permis d'éclairer sous un jour nouveau la genèse de son oeuvre, mais aussi la seconde guerre, au travers de la vie de l'un des écrivains qui l'ont traversée en tant que combattants. La lecture en est un peu aride, une bonne partie du contenu (et pour cause) se cantonnant à du factuel. Et par ailleurs il vaut mieux avoir une certaine connaissance du Legendarium tolkienien pour bien saisir certaines remarques. Le portrait, même s'il n'est pas très attirant, est convaincant.

 

A noter dans les bonus, outre une abondante bibliographie ainsi que la liste impressionnante des sources données en notes, une petite chronologie de la bataille de la Somme du côté de Tolkien ainsi qu'une carte des lieux, pas très claire.

 

Spooky

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