Asphodèle… Fleur des Enfers suivant la mythologie classique. Ce nom est ici porté par une sorcière au passé trouble. Une femme à la beauté du Diable et extrêmement maline. Nous faisons sa connaissance alors qu'elle est engagée par un brelan de nantis victimes d'un envoûtement, ou plutôt d'une hantise. Une hantise qui va chercher ses racines dans leur passé commun. Voilà l'une des dernières créations d'Eric Corbeyran, scénariste réputé dans le fantastique, dans la collection " Insomnie " des Editions Delcourt…
Pour illustrer son dernier cauchemar, il s'est adjoint les services de Djillali Defali, l'auteur de Garous (Soleil). Celui-ci trouve rapidement ses marques, dans un style à la fois nerveux et racé, proche de celui de Guérineau, l'auteur du Chant des Stryges, également scénarisé par Corbeyran. Très vite, les références à cette dernière série apparaissent. En effet, l'un des personnages principaux travaille chez "Sandor Weltman Industry". on ne sait pas trop quelle est l'activité de la société en question, mais le fan strygien a tôt fait de repérer le clin d'œil. Le second cycle de deux tomes verse carrément dans le multivers des stryges, avec l'arrivée de Richard Guérineau en tant que co-scénariste. L'un des personnages, Graham Gallagher, est même commun aux deux séries. Les références se multiplient à partir de ce tome 3 : un certain tableau est vendu dans un célèbre magasin d'antiquités, on a une scène (racontée) commune avec Le Maître de Jeu, une autre anecdote se déroule dans l'univers du Clan des Chimères… Et les stryges envahissent la scène. Ce n'est là qu'une partie des éléments communs, Asphodèle en regorge. Plus que le personnage d'Asphodèle, c'est la lecture "latérale" de la mythologie des stryges qui fait le sel de la série. […] Car ne nous leurrons pas. Fidèle à ses inspirations, Corbeyran nous propose une série à la X-Files : d'un côté le "monstre de la semaine" (correspondant aux deux premiers tomes) et la semaine suivante un épisode sur le "Complot" (tomes 3 et 4). Sauf que là, contrairement à la célèbre série TV, et peut-être aussi à cause des critiques dont a fait l'objet la série " initiale " après la fameuse " non-fin " du tome 6, on progresse beaucoup plus vite (effet Guérineau ?), et certaines zones d'ombre nous sont révélées. […] On a même droit à une référence à la future série se déroulant dans ce multivers, Les Hydres d'Arès. Chronologiquement, le second cycle d'Asphodèle se passe avant Le Chant des stryges. Comment pouvait-on justifier la présence de Graham Gallagher, accompagné par Angela Cooper, qui n'est pas là dans la série dessinée par Guérineau ? Un nouveau personnage à explorer ? certainement. Enfin moi ça m'intéresserait. Comme Gallagher, elle est medium, et se montre particulièrement intéressée par les stryges… Peut-être en saura-t-on plus dans l'une ou l'autre des séries ?
Je ne saurais terminer cette brève typiquement spookyenne (entendez par là : confuse et passionnée) sans évoquer les quelques détails qui ont attiré mon attention. D'abord les clins d'œil : Corbeyran et Defali ont salué l'arrivée de Richard Guérineau dans le tome 3 en donnant à un lecteur d'Asphodèle les traits du dessinateur bordelais, dégaine et veste préférée comprises ! On appelle ça un caméo. Autre clin d'œil, les références cinématographiques. Je citerai par exemple le café "Black Cat", récurrent dans de nombreuses BD et films, et reprenant une scène de Pearl Harbor (désolé, je l'ai vu par curiosité).
Notons une petite pinaille dans le tome 4 : la "corde d'argent" d'Asphodèle a mystérieusement disparu, corde d'argent qui est pourtant un élément essentiel du voyage astral d'Asphodèle, et donne même son titre au tome 2. Asphodèle est donc la série inattendue de ce multivers des stryges, et la taille et l'abondance des éléments strygiens dans son second cycle plaident pour son inclusion dans cet univers. […] un gros bémol cependant. Que ce soit dans le premier cycle, où elle apparaît à la fois mystérieuse et ténébreuse, ou dans le second, où elle se montre fragile, amoureuse et déterminée, on n'arrive pas à s'intéresser à Asphodèle. Son personnage est fade, mal servi par un scénario un peu insipide dans les deux premiers tomes, et par le dessin un peu artificiel de Defali, peu aidé il est vrai par des couleurs synthétiques.
LA LOI DE 12 DIVISE PAR 2
Encore un nouveau concept dans la BD ! Visiblement inspirés par leur série et leur héroïne Asphodèle, Corbeyran et Defali lui donnent une seconde série dédiée, constituée de 12 récits de 30 pages chacun, chaque récit se passant au cours de l'année 2006. L'idée de départ était de faire une sortie mensuelle. Delcourt préfère les regrouper deux par deux, étalant les sorties de février à novembre 2006. Dans le premier tome, la sorcière à la grande beauté se retrouve donc aux prises avec l'esprit d'une sorcière au moyen-âge, puis avec le Cénacle, un cercle de personnages nébuleux. Il ne faut pas attendre de "fin" à ces tomes, l'ensemble constituant visiblement un puzzle ambitieux. Les 360 pages sont réalisés par Djillali Defali, qui est le Speedy Gonzales de la BD. Ouvertement, la série est inspirée du principe de la série TV 24 heures chrono, qui a bousculé les modes de narration. Le leitmotiv affiché : du suspense, du suspense, du suspense.
Le dessin de Defali reste beau, malgré (encore) de légers défauts anatomiques, et il est réhaussé par les couleurs des frères Péru, auteurs de Shaman. Le rythme est effréné, certes, mais il risque de lasser les lecteurs non amateurs de la série originelle.