Philippe Curval est considéré comme l'un des "Grands Anciens" de l'imaginaire français. Il faut dire qu'avec une carrière commencée avant 1960, il a eu le temps de publier des centaines de nouvelles, des dizaines de romans émargeant pour la plupart dans la science-fiction. Une activité hautement respectable, encadrée par une activité de critique (dans le même secteur) et d'illustrateur. A ma grande honte, je n'avais jusqu'alors lu aucune de ses productions, pas même une nouvelle dans un quelconque recueil. Mais son passage dans une librairie parisienne, remarqué par un ami (encore merci, Guillaume !) m'a permis d'acquérir L'Homme qui s'arrêta.
En 2009, année de ses 80 ans, le Editions La Volte (connues pour avoir publié le phénoménal La Horde du Contrevent, entre autres) publient ce recueil de nouvelles, sous-titré Journaux ultimes. Présentées par son éditeur comme des nouvelles "subversives", les dix écrits qui le composent sont écrites à la première personne, et ont pour point commun des héros dont la raison vacille avec la survenue d'un évènement qui les concerne directement. Ainsi en est-il de ce jeune homme qui voit revenir dans son entourage son frère jumeau, aux funérailles duquel il a pourtant assisté des années auparavant. De ce comptable à la vie à la fois morne et bien réglée qui se retrouve avec une version de lui-même qui semble vivre sa vie (et la vivre mieux) avec un léger décalage temporel. De ce récit mêlant polar noir et cadre érotique avec un artefact en forme de pénis qui semble donner à ses possesseurs successifs des performances sexuelles fort appréciables...
Cependant, si certaines idées m'ont semblé assez intéressantes, la forme ne m'a pas toujours enthousiasmé. La faute la plupart du temps à une tendance à la logorrhée, au bavardage, certes très accessible, mais parfois superfétatoire... La nouvelle qui m'a le plus intéressé est celle où un savant étudie la fâcheuse tendance des nouveaux-nés à vieillir progressivement pour disparaître, visiblement de leur plein gré, au bout de quelques semaines. C'est assez fascinant de se retrouver dans la tête d'un nourrisson, qui acquiert peu à peu l'analyse, le recul, la raison...... Un petit mot de l'avant-dernière nouvelle, intitulée Journal contaminé, qui raconte les crépuscule d'un criminel qui se retrouve... en confinement (comme une bonne partie du monde à l'heure ou j'écris ces lignes... saloperie de covid-19) après avoir contracté une maladie qui le ronge lors d'une sortie spéléologique avec son épouse. Le parallèle entre la dégradation de sa perception spatio-temporelle et celle de la nature qui entoure son appartement isolé est assez fascinant, dans son aspect clinique et presque entomologique.
Un petit regret : si deux des nouvelles peuvent être datées grâce à l'indication de leur publication dans des revues, d'autres ne le sont pas. Est-ce à dire qu'elles étaient alors inédites ? Voire contemporaines de la publication du recueil ? En tous les cas, on notera que ces nouvelles relèvent pour la plupart du fantastique, avec un fond social très présent. Et souvent beaucoup d'ambigüité dans ses histoires.
Spooky