Nous sommes en 1888, et Dracula n'est pas, comme voudrait le faire croire le roman de Bram Stoker, mort sous les coups de Van Helsing et ses complices. Non, il a, comme il le souhaitait ardemment, entamé son emprise sur sur l'Empire britannique en séduisant la reine Victoria, pour devenir le prince consort. De fait les vampires ne sont plus des hors-la-loi, et ceux qui ont été transformés par Vlad Tepes ou d'autres Anciens ont investi les différentes strates de la société britannique. Parallèlement des prostituées non-mortes sont retrouvées égorgées dans le quartier chaud de Whitechapel, à Londres. D'abord surnommé Scalpel d'argent, le tueur se fait bientôt surnommer Jack l'Eventreur. Scotland Yard est sur les dents (ahah !), mais ce sont deux enquêteurs des services secrets britanniques, Charles Beauregard et Geneviève Dieudonné (une vampire très ancienne) qui vont mener les investigations.
Après avoir écrit une nouvelle plaçant le mythe draculéen dans le contexte de Whitechapel, Kim Newman, grand auteur britannique (amli avec Neil Gaiman, notamment) a écrit un long roman (500 pages en poche) sur le sujet, en convoquant aussi bien des figures historiques (la reine Victoria, Oscar Wilde) que des personnages plus ou moins connus de la littérature vampirique (Lord Ruthven, Carmilla, Varney...), tout en les intégrant à une figure historique toujours nimbée de mystère qui a largement entretenu l'imaginaire colelctif, à savoir Jack l'Eventreur. Une rencontre des titans victoriens, en somme.
Le résultat est un roman policier de haut niveau, placé dans les brumes inquiétantes de la Londres d'il y a un siècle, avec des personnages nombreux et hauts en couleurs, tout en donnant un incroyable os -à moëlle- à ronger aux amateurs de littérature dentue, et pas seulement parce que nombre de personnages du chef d'oeuvre de Stoker sont présents. L'écriture est de grande qualité, tandis que le rythme du roman est parfaitement maîtrisé, entre fulgurances de l'action et périodes plus calmes, propices à l'introspection ou aux instants intimes.
Sorti en 1992, cet Anno Dracula est le premier violet d'une trilogie consacrée au héros de Stoker, mais peut se lire indépendamment. Pour cette troisième édition, sortie en 2001, l'auteur s'est repenché sur son manuscrit, y a apporté de menues corrections, mais y a surtout intégré d'incroyables bonus (150 pages tout de même), avec des annotations sur l'ensemble de son roman, une postface relatant la genèse de celui-ci, une fin alternative (tirée de la nouvelle originale), des extraits du scénario écrit par Newman lui-même dans l'optique d'un film (qui n'a jamais vu le jour), un article de Newman sur la thèse de Dracula en Jack l'Eventreur dans une revue consacrée au tueur en série de Whitechapel, et une nouvelle faisant se rencontrer le Comte et une innovation technologique majeure, qui est cohérente avec le roman de Stoker et prend tout à fait sa place dans l'univers d'Anno Dracula...
Un livre précieux et précis. Une perle. Une référence.
Spooky